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contraire très profonde, suivant le point de vue où l’on s’attache. L’âme des Pouilles, — car les provinces italiennes ont encore conservé leur âme, — transparaît, avec ses vertus et ses lacunes, sans fard et tout entière, dans cet ascétique écriteau. « Laisser faire à Dieu, » tantôt cette maxime est le paravent de la paresse, et tantôt un noble symbole d’endurance : on l’étalé complaisamment lorsqu’on ne sait point agir ; on la garde en soi, avec jalousie, presque avec orgueil, lorsqu’on sait souffrir. L’homme des Pouilles, dans tous les sens du mot, laisse faire à Dieu. Ainsi s’expliquent les apparentes complexités de son être et les contradictions superficielles de sa vie.

On est religieux dans le sud-est, au moins à fleur de cœur ; et peu s’en faut pourtant que cette région, comme au temps de Frédéric II, ne soit « une épine dans l’œil du Pape : » les conseils d’abstention politique que donne le Saint-Siège aux catholiques d’Italie, scrupuleusement écoutés dans le Bergamasque, assez fidèlement suivis en Vénétie, en Lombardie, en Piémont, à Rome, sont au contraire, dans les Pouilles, généralement enfreints ; il est telle circonscription où le nombre des votans dépasse 88 pour 100 ; lors même qu’il s’agit de la prise de Rome, la Pouille catholique laisse faire à Dieu ; ou plutôt, sur ce terrain politique, le vrai Dieu, c’est le pouvoir central, c’est l’autorité royale, c’est la force de l’Etat ; et si dans toute l’Italie, l’opinion catholique était aussi effacée, nous allions dire aussi inexistante que dans les Pouilles, les inquiétudes des grandes puissances au sujet de la liberté du Pape, les inquiétudes des fidèles au sujet de l’intangibilité morale de la capitale commune de la chrétienté, seraient malaisément rassurées.

On est travailleur dans le sud-est, mais sans cette imagination novatrice qui est l’une des formes de l’esprit de progrès ; et le même motif qui rend le paysan laborieux le rend tout en même temps routinier. C’est une façon de passivité qui maintient l’énergie de l’homme des Pouilles, et c’est encore une façon de passivité qui l’entrave et l’immobilise. Les écoles d’oléiculture, d’agriculture, de commerce, d’arts et métiers, qu’ont fondées dans ces provinces le gouvernement ou les municipalités, n’ont eu qu’un médiocre succès ; et les essais scolaires que M. Pavoncelli, le grand viticulteur de Cérignole, voulut tenter sur ses domaines, sont demeurés sans récompense. La Pouille est la région de l’Italie méridionale qui compte le plus d’illettrés : en 1892, sur 100 conscrits,