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où jadis s’ébattaient les troupeaux en toute souveraineté, les épis de blé commencèrent de mûrir. On fêta cette émancipation, à laquelle les Bourbons n’avaient jamais voulu se prêter, comme le don de joyeux avènement du régime nouveau ; en faire l’éloge devint une chose classique ; M. Angeloni dans l’enquête agraire, M. Lenormant dans son livre : A travers l’Apulie et la Lucanie, répercutaient et prolongeaient encore, vingt ans plus tard, l’en- thousiasme primitif ; et les publicistes comme Carlo de Cesare, dont les constans efforts avaient longtemps poursuivi et finalement obtenu cette quasi-révolution du régime rural, étaient, sans réserves, salués comme des bienfaiteurs. On incline à reconnaître, aujourd’hui, après les nombreux désespoirs qui furent l’arrière-garde de cette nouveauté, que la loi de 1865 fut, sinon fâcheuse, au moins trop radicale : « en pensant, écrit M. Pavoncelli, à près de 230 000 hectares de terres labourées d’un coup et rendues à demi stériles, le législateur est contraint de se demander, anxieux, s’il n’a pas devancé le moment opportun en accordant ce qu’il aurait été préférable de retarder[1] ; » et un professeur de Foggia, M. Lo Re, qui a consacré deux volumes à la Capitanate, ne craint pas d’écrire que cette loi fut « la condamnation de la pâture méridionale, la catastrophe des valeurs foncières de la Capitanate, la ruine d’une grande partie des montagnards des Abruzzes, du Samnium et de la Lucanie ; » il risque l’oraison funèbre du Tavoliere disparu, « victime, dit-il, du jacobinisme intransigeant, de l’économie politique transcendante, du libéralisme irrationnel[2]. » Mais ces épanchemens d’un franc esprit sont de 1896 ; ils succèdent à trente années de déceptions.

Avant 1865, en tous les endroits du Tavoliere où la culture était permise, les céréales avaient déjà élu domicile, et cela depuis longtemps. On trouve encore, à Cérignole, à Foggia, les antiques silos où se conservait le grain, vastes fosses creusées dans le sous-sol des places publiques, grossièrement numérotées, et adjugées aux propriétaires ruraux pour qu’ils y déposassent leurs produits. Ces garde-manger souterrains avaient leur personnel distinct, soumis à des règlemens très stricts ; le statut qui régissait le Piano délia Croce, à Foggia, date de 1725 et demeure à peu près en vigueur[3]. En vertu de ce statut, deux compagnies

  1. Pavoncelli, Una azienda vinaria in Capilanaata p. 9.
  2. Lo Re, Capilanata triste, seconda parte, p. 107-109 (Cerignola, 1896).
  3. Regolamento del Piano delle fosse di Foggia detto Piano della Croce (Foggia, 1883).