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comme pour faire halte au milieu de leur existence ambulante, ces terazzani, dont on évaluait le chiffre à tout près de 8 000, étaient le produit et l’indice d’un état social dans lequel l’agriculture, pour prospérer, comptait plutôt sur la bonne grâce du hasard que sur l’assiduité du labeur. Les machines agricoles, concurrentes des bras humains, firent leur apparition ; une école professionnelle fut établie à Foggia, qui depuis lors s’est mise en mesure de fournir immédiatement, au gré des besoins, les pièces de rechange nécessaires pour la réparation de ces machines : on s’outillait pour la prospérité, on s’équipait pour devenir riche ; et le premier congrès agraire régional était annoncé à Foggia pour l’année 1874.

Mais la fatigue de la terre et la fatigue des acheteurs eurent bientôt raison de l’enthousiasme des débuts. Le sol s’abîma ; des déboisemens imprudens le ravagèrent ; des éboulemens, des stagnations d’eaux malsaines, compromirent les terrains mis en culture ; l’épuisement commença, et les énergies naturelles de la glèbe, dont la complaisance a des limites, — limites plus tenaces, parfois, et plus malaisées à violer, que celles des énergies humaines — se rebellèrent contre les convoitises effrénées de la surproduction. Puis la concurrence d’outre-mer fit déchoir le prix des grains : ils ne valaient plus, en 1876, que 25 francs le quintal. L’augmentation de la vente de la terre, résultat des brillantes espérances du début, avait amené l’accroissement des loyers ; et l’avilissement des prix de vente rendait désormais ces loyers écrasans.

Alors, pour y faire face, on multiplia plus encore les exigences à l’endroit de la terre, et la terre, à son tour, continua de se rebeller toujours davantage. Ce duel de l’homme et du sol était d’autant plus acharné, que la plupart des grands propriétaires, inintelligens des conditions agricoles, préoccupés exclusivement du lucre immédiat, justifiaient ce portrait peu flatteur que leur consacrait M. Raffaele Mariano, dans sa préface au livre de Gregorovius sur les Pouilles : « La vie de ces Messieurs, écrivait-il, se résume dans l’avidité de posséder. L’argent est leur dieu ; l’avarice est leur culte. L’amour de l’argent, chez eux, n’est pas cette aspiration toute naturelle et toute légitime, chez les individus comme chez les peuples, à disposer de moyens nombreux pour les fins de la civilisation. C’est l’amour de l’argent pour l’argent. » Déçus par cette divinité qui, depuis la mévente des blés,