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Mais dès lors la classe capitaliste ne sera plus capable de diriger la production. Le capitalisme, tandis qu’il accroît immensément la force productive du peuple exploité, tient au plus bas degré sa force de consommation. La grande industrie se ferme le marché intérieur, et elle est obligée de chercher des cliens dans le monde entier. Les nations entrent en concurrence. L’extension des marchés ne suit point pas à pas l’extension de la production. Des crises pléthoriques se produisent. Les fabriques s’arrêtent, parce que les magasins sont encombrés de marchandises. Les ouvriers meurent de faim, parce qu’ils ont produit trop de richesses.

Les crises prouvent qu’une catastrophe est prochaine. D’après la conception matérialiste de l’histoire, une révolution sociale éclate quand les forces productives matérielles d’une société se trouvent en contradiction avec les modes de propriété au sein desquels elles se mouvaient jusqu’alors, quand le mode de propriété entrave la production. C’est le cas du régime capitaliste : son heure a sonné ; les expropriateurs seront expropriés.

Les lois de la production capitaliste conduisent ainsi à la chute de l’ordre actuel et de l’Etat de classes, et à la domination du prolétariat éduqué, uni, organisé par le mécanisme même de la grande industrie, et qui viendra relever la bourgeoisie de sa gestion incapable et funeste,

La socialisation de la production, préparée par la concentration des industries, impose la transformation de la société dans le sens communiste. Elle mettra en harmonie pour tout le peuple la force de produire et la capacité de consommer. Le capitalisme conduit au socialisme, comme à la seule solution possible de ses contradictions immanentes[1].

De cette conception du mouvement socialiste découle une tactique que Marx a formulée avec sa logique serrée, et qui fut adoptée par la démocratie socialiste allemande.

La doctrine détermine d’abord la tactique à l’égard des syndicats. La « prolétarisation croissante des masses » conduit à une certaine indifférence envers les ouvriers réunis en syndicats

  1. Dans le premier volume du Capital, Marx éclaire ces contradictions par des chiffres et par des faits. Marx et Engels n’ont pas laissé d’exposé systématique de l’ensemble de leurs vues historiques, ils ont donné simplement des indications, élaborées par leurs disciples.
    Pour l’esprit général du marxisme, consulter l’excellente brochure de M. Sombart : Socialisme et mouvement social, Giard et Brière, 1898.