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que Marx et Engels l’ont une fois exprimée, et une vérité ne perd rien de son importance, parce qu’elle émane d’un économiste antisocialiste ou d’un socialiste bourgeois. Pourquoi déclamer et prophétiser des miracles politiques et révolutionnaires, alors qu’on n’y croit plus ? Pourquoi s’enfermer dans une intransigeance qui ne mène à rien ?

M. Bernstein prétend qu’il ne fait qu’exprimer et maximer la transformation intérieure qui s’opère depuis quelques années dans les partis socialistes du continent. Ils songent moins à la grande débâcle, ils vendent moins la peau de l’ours, ils sont plus portés à s’occuper des problèmes du jour. Pour l’Allemagne notamment, M. Bernstein constate qu’il est parfaitement d’accord avec le programme pratique de la démocratie socialiste, et qu’il changerait seulement quelques mots au programme théorique. L’attitude des socialistes au Reichstag et aux élections, la politique de compromis et de compensation est la justification éclatante de sa thèse. La vieille tradition révolutionnaire de 1848 n’est plus que purement verbale : la violence du langage contraste avec la prudence des actes. La lutte contre Guillaume II rend toutefois difficile la position des socialistes modérés. Au fond, non seulement M. de Vollmar, mais M. Auer, le secret empereur de la démocratie socialiste allemande, agissent en parfait accord avec la thèse de M. Bernstein.

Les idées de Karl Marx ne sont pas aussi répandues en France qu’en Allemagne. Chez nous on s’intéresse peu aux théories. La critique de M. Bernstein, signalée dans les revues du parti, n’a pas soulevé de discussions passionnées. D’ailleurs une réaction contre le marxisme s’était produite parmi les socialistes français dès 1885 : MM. Benoît Malon, Rouanet, Fournière, rompirent avec l’école marxiste. Cette philosophie représentait à leurs yeux un matérialisme vieillot. Malon s’est efforcé de concilier, dans son Socialisme intégral, l’idéalisme exclusif des socialistes de la première période et le réalisme non moins exclusif de la seconde. Il adopte la théorie de Marx sur l’évolution économique ; il appuie cette évolution par une théorie du progrès dans le sens de l’altruisme, selon Auguste Comte. M. Gabriel Deville juge ce socialisme de Malon « bon tout au plus pour les francs-maçons et les spirites. » M. Jaurès, M. Georges Renard, M. Fournière ont continué l’œuvre de Benoît Malon : ils ont construit leurs cités dans les nuages. Un dernier venu, M. Andler, dans une thèse