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découragea ainsi de délivrer la Bosnie et l’Herzégovine, les terres pourtant où la race serbe est la plus pure. Elle détourna les ambitions de Milan vers la Macédoine, la contrée où les races sont les plus diverses, où la Serbie provoquait les prétentions bulgares, mais suivait les jalons posés par l’Autriche dans la direction de Salonique. L’état de siège et les corruptions électorales gagnèrent les Chambres serbes à cette politique : mais la Serbie sentait que rompre l’amitié avec le Monténégro, la paix avec la Bulgarie, abandonner la Bosnie et l’Herzégovine à l’Autriche était trahir la cause slave et son propre avenir. En 1889, l’habileté de Milan se trouva si usée que, pour sauver la couronne des Obrenowitch, il abdiquait et quittait le pays. Et le changement de règne amena, par une réaction vraiment populaire, le triomphe du parti qui voulait un rapprochement avec la Russie et passait pour appuyé par elle.

Pendant ce temps, la Russie s’était installée en Bulgarie à son gré, et d’accord avec les Bulgares reconnaissans. Alexandre de Battemberg était neveu du Tsar, ce fut assez pour qu’ils l’élussent leur prince ; ils confièrent à des Russes le gouvernement. Les Russes avaient tout demandé et tout obtenu : l’usage qu’ils firent de cette omnipotence créa toutes leurs difficultés. Ils organisaient bien l’armée, gaspillaient les finances, et semblaient dédaigner la nation. Celle-ci finit par s’avouer que ses sauveurs traitaient un peu trop un pays délivré en pays conquis : en échappant au Turc elle n’avait fait que changer de dépendance, et le nouveau joug, parce qu’il était plus savant, paraissait plus continu et plus lourd. Après sept années il parut excessif, et jamais le prince Alexandre ne fut l’interprète d’une volonté plus nationale que le jour de 1885 où il congédia ses conseillers russes. Presque aussitôt après, la Roumélie orientale, s’unissant à la Bulgarie, rétablissait, par un mouvement révolutionnaire, l’œuvre de San Stephano, et la Serbie attaquant la principauté, sous prétexte qu’elle devenait trop puissante, menaçait même l’œuvre de Berlin. Cette heure critique permit à la Russie de prouver si elle préférait dans la Bulgarie les Bulgares ou sa propre domination. Son choix fut net et cruel. Tous les officiers supérieurs de l’armée bulgare étaient Russes : à la déclaration de guerre, la Russie les rappela sur l’heure. Les Bulgares eurent le sentiment que les abandonner ainsi était les livrer. Et si leur victoire de Slivnitza, où leurs bataillons étaient commandés par des lieutenans, et leurs régimens