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que nous regardions comme une intransigeance pleine de promesses, pour défendre notre personnalité contre la règle académique. Nous l’aurions jugé indomptable, à voir avec quelle hardiesse il brossait ses études à l’atelier.

Mais nous nous trompions ! Baudry était modeste au fond, maniable sous l’influence de son admiration pour les maîtres. De là cette aménité bienveillante qui tempéra l’énergie de son talent et de sa face de corbeau : il ressemblait à cet oiseau. Oui, si nous applaudîmes son exposition de 1857, séduits par tant de charme titianesque et corrégien, nous fûmes étonnés de le trouver si souple à fondre une originalité que nous ne pouvions nous empêcher de regretter, tout en partageant l’admiration générale. Oh ! que sa petite Léda était charmante ! Mais nous n’y reconnaissions plus notre épineux Baudry. Les greffes avaient fleuri sur le sauvageon. Nous attendions sinon mieux, du moins autre chose de l’élève qui, en 1848, dessinait si furieusement des scènes de chouans sur la toile dont il avait tapissé sa chambre, vrai grenier d’une maison isolée au milieu de la place Saint-Germain-des-Prés et que le boulevard a emportée, alors que sa fierté tranquille et son silence méditatif nous imposaient une sorte de respect. Que sont devenues ses figures d’après le modèle vivant, un peu barbares, parfois bizarres de proportions, mais aux articulations si fermement élastiques, aux muscles souples, d’une seule et généreuse coulée !...

On connaît son enfance. Tout le monde a remarqué son tableau célèbre : la Fortune et l’Enfant. Le petit Paul a vu aussi la déesse lui tendre la main, non sur la margelle d’un puits, mais sur les ais mal joints d’une estrade de ménétrier, car le futur peintre des Muses faisait danser des paysans. Et cette fois, la Fortune, qui avait oublié sa roue, se présentait sous les traits d’un aimable homme, M. Renard, directeur des contributions du département. Plusieurs lettres du peintre témoignent à son égard d’une bien vive reconnaissance.

Ce fut dans les forêts rocheuses, parmi les houx épineux, les chênes rabougris aux mille racines tortueuses, les ronces et les fleurs sauvages, que le petit Baudry reçut ses premières impressions de nature. Il y poursuivait les papillons qu’il collectionnait, les yeux ravis de leurs couleurs dont plus tard il se servira pour les harmonies de ses décorations de l’Opéra. Son Supplice d’une vestale porte encore des traces de l’influence première : il y a