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cette heure, fraîchement revenu de Grèce, précédé par un roman qui occupait tout Paris, avait dédié à notre jeune peintre le premier volume de ses Salons où il le célébrait dans mainte page. En tête de l’épître dédicatoire on lisait : « Paoliccio mio ! » et cela attendrissait le public.

Il était en effet de petite taille, cet artiste charmant que la foule, pour la première fois, contemplait avec cette douceur particulière dont ses regards caressent les jeunes triomphateurs. Si vous voulez le connaître à fond, vous n’avez qu’à lire sa correspondance si intéressante, qui a été publiée. Il y est tout entier, avec sa vaillance infatigable, sa douceur, sa bienveillante ironie, son cœur dévoué. Il avait redouté beaucoup cette exposition, et il était tout à l’étonnement et à la joie d’un triomphe. Certes l’avenir devait paraître bien beau à ce jeune homme dans l’ivresse d’un tel début. Il en jouissait avec un tact parfait et en toute bonne camaraderie. Hélas ! la gloire ne lui sera guère douce !

C’était une fête de nous revoir. Je fus surpris du changement qui s’était fait en lui. Quoique toujours très brun, il m’apparut comme éclairci ; l’œil plus tendre, la chevelure plus souple, d’une correction imprévue. Nous avions eu des rapports d’amitié discrète et d’estime, huit ou neuf ans auparavant, à l’atelier Drolling. Nous ne les avions entretenus par aucune correspondance pendant cette longue période si différemment passée. Mais nous nous étions suivis en pensée. La publicité lui avait appris mes débuts ; quant à moi, j’en étais resté aux conjectures, car il n’avait montré ses envois de Rome qu’à l’Ecole des Beaux-Arts tandis que j’étais à Courrières. En ce moment, il les exposait en bloc. Baudry était autrefois un garçon silencieux, aimant la solitude, s’isolant par une froide réserve, même au milieu de ses condisciples dont il était le point de mire, car la plupart cherchaient à l’imiter. Il avait la tête énergique, au hâle pâle, des dominateurs. Cependant l’empire qu’il exerçait était absolument involontaire. Nous lui reconnaissions une supériorité. Nous l’appelions « le petit grand homme. » Il était arrivé du fond de sa Vendée, à demi sauvage encore, résolu à parvenir, âpre au travail. Il apportait comme la fauve ardeur de la faune de ses bois. Ce fils d’un sabotier avait d’ailleurs l’audace prudente et réfléchie de ceux qui marchent dans les chemins non frayés. Nous nous serrions autour de lui, nous autorisant de cette indépendance