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tout cela je ne sais quel air de fatalité qui m’épouvante. Ma fortune est-elle à bout et ne dois-je plus voir de bonheur dans ma vie qu’en regardant derrière moi ? Quand j’arrivai ici, je trouvai d’abord M. Guéroult[1] irrité contre moi. Il s’imaginait ne m’avoir pas fait écrire de rester jusqu’au 15 ; j’eus beau produire la lettre, le témoignage de l’élève qui l’avait écrite, tout fut inutile. Tout ce qui arriva, c’est qu’à mon tort imaginaire j’en ajoutai un réel, celui d’avoir raison contre plus fort que moi. C’est à dater de ce moment qu’il faut mettre ex devant mon titre de répétiteur de l’Ecole. On m’offrit cependant généreusement ma pension si j’y voulais rester une troisième année pour me perfectionner. Voilà d’abord comme j’ai été puni de n’avoir pas suivi votre conseil ; mais écoutez jusqu’au bout. Ne voyant plus de place ni au lycée Charlemagne ni au lycée impérial, j’en fais demander une au proviseur du lycée Bonaparte. Je me présente moi-même chez lui. Il me reçut avec une politesse assez froide, prit mon nom et dit qu’il consulterait mes notes à l’Université. Il les consulta, en effet, le lendemain, et revint satisfait, car en me voyant entrer chez lui le surlendemain, il vint au-devant de moi, me prit les deux mains et m’assura qu’il avait le plus grand désir de m’attacher à son lycée et que le lendemain même il verrait le Grand Maître à ce sujet.

« Deux jours après, je revins le voir, impatient de savoir la réponse. « L’affaire est en bon train, me dit-il, j’ai vu le Grand Maître, et j’ai remis ma demande par écrit à son secrétaire ; il a dû la lire le soir même. » Je restai pétrifié en apprenant qu’il avait écrit au lieu de demander de vive voix, et en le quittant je me résignai tristement à toutes les lenteurs qui sont inséparables d’une telle marche. Cependant, quand je fus un peu avancé dans la rue, l’idée me vint d’avoir un peu recours à moi-même et de voir si je ne pourrais pas décider la chose en allant chez le Grand Maître. Et de ce pas, tel que j’étais, sans rendez-vous, sans lettre d’audience, je vais me présenter, je me fais mettre sur la liste à la suite de ceux qui avaient rendez-vous, et à mon tour j’entre. M. le Grand Maître me reçut de la manière la plus aimable, me dit qu’il avait reçu une lettre du proviseur du lycée Bonaparte, mais trop tard, car un moment auparavant il venait de me nommer au lycée Charlemagne sur la demande du proviseur pour faire une division de troisième qui venait de vaquer. Je lui témoignai

  1. M. Guéroult fut le premier directeur de l’École normale. Il fut remplacé, en 1815, par M. Guéneau de Mussy.