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quelque regret de n’être pas au lycée Bonaparte. Il me demanda mes raisons, et il m’avait tellement mis à mon aise qu’en lui disant d’abord que ce n’était pas au Grand Maître mais seulement à M. de Fontanes que j’allais parler, je lui avouai que je donnais des leçons dans une pension voisine du lycée Bonaparte, — ce qui est un grand crime dans l’Université, — et que je comptais y demeurer. Je lui dis qu’un des principaux motifs qui m’avaient déterminé à prendre ce parti était le désir d’avoir avec moi mon jeune frère. Il me dit que je faisais fort bien et me promit pour l’année prochaine une bourse dans un lycée de Paris pour mon frère. Je sortis tout ravi d’une si aimable audience, ne regrettant plus que faiblement le lycée Bonaparte. Quel est mon étonnement, huit jours après, d’apprendre qu’on m’a soufflé ma place et qu’un autre fait la division que je devais faire. Je ne suis donc plus suppléant au lycée Charlemagne. Mais laissez-les faire, ils ne sont pas encore las de me rouler de place en place. Je cours aux informations, et sans savoir comment se fait le changement, j’apprends que je suis au lycée Bonaparte suppléant des classes de rhétorique et d’humanités. Cette nouvelle me console de l’autre. Mais ma joie n’a guère été plus longue que mon chagrin. La chance commence à tourner une deuxième fois, et l’on parle de m’envoyer à Reims, parce que le professeur de rhétorique s’avise d’être malade. Voilà où en sont maintenant mes affaires. Jusqu’à présent, j’ai le titre de suppléant de rhétorique et d’humanités au lycée Bonaparte. Il n’est même pas question de me l’ôter, parce que dans tous les cas je ne serais que provisoire à Reims, mais voyez comme cela romprait tous mes arrangemens. Je donne des répétitions dans deux pensions. Mais il est temps de finir ce journal. Voici le feuilleton : je viens de lire en deux soirées les deux volumes de Corinne ou l’Italie. Je trouve que Mme de Staël est une bien étrange créature. Quel talent, mais souvent quel ridicule ! c’est Chateaubriand avec plus de pensée et de mauvais goût. Elle est parfois inintelligible. Voici par exemple une de ses énigmes : « Quand on entend des sons purs et délicieux, dit-elle, il semble qu’on soit prêt à deviner le secret du créateur et à pénétrer le mystère de la vie. » Devinez si vous pouvez, mais n’attendez pas que je vous y aide. Adieu ! j’embrasse tout le monde et vous surtout... Votre ami,


« CHARLES LOYSON[1]. »

  1. Lettre inédite.