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ni les uns ni les autres, sous nos climats, l’automne ou l’hiver, et qui, en ces pays, se font entendre pendant les mois d’octobre et de novembre ; les bananiers aux feuilles aussi larges et d’une trame aussi résistante que de riches manteaux de velours, avec leurs fruits recourbés et jaunes ; les palmeraies de cocotiers qui sortaient de l’eau et touchaient au ciel ; ces fougères arborescentes à l’entrée des forêts vierges inaccessibles, qui formaient en haut comme une voûte impénétrable aux rayons solaires, et en bas comme un océan de végétation où se cachaient des abîmes remplis de vapeurs pareilles à des voiles de nuées indécises ; les champs de maïs d’un vert si clair, couverts d’épis qui ressemblaient à des torsades étincelantes et à des chevelures d’une indicible finesse ; les bois de campêche aux sucs qui teignent et les guanabanos et les chirimoyos aux fruits délicieux ; les cactus de la taille du cèdre et les acajous et les ébènes d’une matière si dure ; les galegas ; médicinales au tronc strié ; le déluge de feuilles innombrables, les éruptions volcaniques d’êtres animés, le parfum de senteurs perceptibles à d’immenses distances, les croisés de fibres entrelacées comme une incroyable dentelle ; le bruit d’une symphonie faite du concert des ondes mugissantes et des ramures crevant pour ainsi dire de l’excès de leur sève ; tout cet ensemble, invraisemblable d’exubérance, dut émouvoir le vieux pilote de l’ancien monde, presque épuisé, comme le paradis sans maux avait ému l’Adam biblique sans péché, sur le point de se lever au souffle divin pour recueillir en ses veines les premiers effluves mystérieux de la vie universelle. »

C’est en cette phrase extraordinaire par son éclat autant que par sa longueur — dans le texte original elle n’a pas moins de cinquante et une lignes — que don Emilio Castelar nous peint l’état d’âme de Cristophe Colomb, quand, le 28 octobre 1492 au matin, ses caravelles abordèrent à Cuba. Et voici maintenant la phrase toute droite et toute simple, une des premières du livre écrit, autant dire du rapport rédigé ou de l’inventaire dressé, après étude attentive de l’île, par M. Robert P. Porter, commissaire spécial pour les Etats-Unis à Cuba et Puerto-Rico[1] : « Tabac, café, fruits tropicaux, minerai de fer et autres minéraux de diverses

  1. Industrial Cuba, Being a Study of present commercial and industrial conditions, with suggestions as to the opportunities presented in the island for american capital, enterprise, and labour : wilh maps and 62 illustrations ; New York and London, 1 fort vol. in-8o, 1899 ; G. P. Putnam’s sons. Ce livre est dédié à M. Mac Kinley, Président des États-Unis, et a un caractère semi-officiel.