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fanatisme, a-t-on dit avec finesse, est à la religion ce que la jalousie est à l’amour, et l’Espagnol est trop jaloux pour ne pas être aussi très fanatique[1]. La dévotion a pu aboutir, en Espagne, à toutes les macérations orientales, à cette dureté envers soi qui faisait le pendant de la dureté envers les autres. Ne voyait-on pas se promener dans Madrid des pénitens nus jusqu’à la ceinture, le corps bleu et meurtri de coups, portant jusqu’à sept épées passées dans leur dos et dans leurs bras ? D’autres, ployant sous le faix de croix énormes, recevaient de leurs domestiques du vin ou du vinaigre en guise de cordial, pour ne pas tomber exténués. C’était l’ostentation de la pénitence : la fierté castillane ne perdait rien à cette humilité.

Un autre caractère de la foi espagnole, c’est son esprit de prosélytisme conquérant, c’est le besoin de s’imposer à l’infidèle ou à l’hérétique. Si sainte Thérèse, à sept ans, s’échappe avec son frère de la maison paternelle pour aller chercher le martyre chez les Maures ; si, après avoir prononcé son premier vœu, pressentant déjà tout ce qu’elle voudrait accomplir de grand, elle s’écrie : « Je n’ai pas encore vingt ans, et il me semble tenir sous mes pieds le monde vaincu ; » si elle dédaigne la dévotion doucereuse et mièvre pour une dévotion ardente au dedans, militante au dehors ; si elle mêle à ses extases maladives toute la lucidité d’une raison ferme et toute la vigueur d’une âme presque virile ; si elle condamne la mélancolie, qui n’est au fond, dit-elle ingénieusement, que le désir de faire sa propre volonté ; si enfin elle transporte l’action et l’énergie jusque dans la contemplation, comment ne pas reconnaître en elle, à tous ces traits, le sang et l’éducation des héros espagnols ? Le père de sainte Thérèse, Alphonse Sanche de Cepeda, Avilais de la Vieille Castille, homme de haute taille et de grande mine, comptait d’ailleurs parmi ses ancêtres un roi de Léon ; sa mère, Béatrice Davila de Ahumada, appartenait à la plus vieille noblesse de Castille. C’est dire que le sang des races du Nord se mêlait chez la sainte à celui du Midi, sans aucune mésalliance mauresque ou juive qui en altérât la limpieza. Ignace de Loyola, chevaleresque aussi et romanesque, est une autre personnification de la foi espagnole. Chez ce Basque, né de parens nobles au château de Loyola en Biscaye, quel esprit héroïque d’aventure et, en même temps, quel esprit positif d’organisation pratique ! Blessé

  1. Voyez Desdevises du Dézert, l’Espagne sous l’ancien régime ; Paris, 1897.