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parfois, de nos jours, elle emprunte encore les formules. Ainsi comprise, elle est certes digne d’admiration et de respect : sa gloire a traversé les siècles, mais elle est dépendante d’un art jaloux de ses droits contre lequel elle s’est souvent révoltée pour prendre ses libertés d’allure, ne se contentant plus de célébrer des symboles et de balancer des lignes harmonieuses. Elle s’est alors franchement détachée de l’Architecture, qu’elle a animée sans s’y mêler. Je ne crois pas que cette dernière y ait perdu.

Car si pâle, si effacée que soit une fresque, si elle n’évite pas les ciels et les plans fuyans, elle troue les murailles et, comme Samson, ébranle l’édifice : les décorations des Assyriens et des Égyptiens sont plates et sans perspective. Les personnages et les objets sont bien des symboles collés sur le mur. Nous ne savons pas bien ce qu’était cette peinture chez les Grecs. Je crois qu’elle devait aussi supprimer les fuites des plans, lorsqu’elle n’accusait pas franchement les reliefs comme dans cette treille d’Apelles qui attirait les oiseaux. En revanche nous connaissons très bien les peintures murales de Léonard de Vinci, de Raphaël, de Michel-Ange, d’André del Sarto, du Tintoret, de Carpaccio, de Bellini, de Rubens, de Jordaens et des maîtres du siècle dernier. Ils n’ont jamais craint d’attaquer vigoureusement les reliefs qui, ainsi que de vrais tableaux, viennent en avant de l’édifice et sont comme suspendus aux murs que l’on sent derrière, La meilleure façon de ne pas détruire l’architecture ne serait-ce pas de ne rien confondre avec elle ?

Mais enfin, je le répète, j’admets la fresque que l’on préfère aujourd’hui, celle qui ne se sert que de mythe et d’archaïsme, et de symboles. Elle est surtout fille de la philosophie, elle est fille du cerveau et elle a pour idéal l’infini de la pensée abstraite. L’autre art, celui dont je vais tout à l’heure vous entretenir, a devant lui l’infini de la vie. Mais avant de chercher à l’étudier, il faut que je rende justice au maître illustre qui nous a légué les plus beaux exemples de cette peinture décorative philosophique et abstraite, écartant avec soin tout trait de passion et de vie qui pourrait en troubler l’auguste sérénité.

Il est difficile de rencontrer une figure d’artiste d’un plus tranquille et radical exclusivisme. Elève de Th. Couture, dont il ne semble en aucune façon avoir subi l’influence, Puvis de Chavannes étudia les maîtres de la Renaissance. Il s’en inspira d’abord, puis les abandonna. Mais, au lieu d’avancer, il recula