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dans le chant en question, dont l’auteur ne craint pas de comparer son héros au Sauveur du monde. Cette pièce, bien qu’alourdie de formules, refroidie de lieux communs, offre pourtant quelques beaux passages.

« Chacun pleure et plaint son dommage, son infortune et sa douleur ; quant à moi, hélas ! j’ai au cœur telle indignation et telle tristesse, que mes jours ne suffiront point à regretter, à pleurer le vaillant, le vénéré, le preux vicomte de Béziers, qui est mort, le chevalier le plus gracieux, le plus juste, le meilleur du monde.

« Ils l’ont tué, et jamais nul ne vit commettre un tel crime, une telle folie, ni faire chose déplaisante à Dieu et à Notre-Seigneur, autant que le fut l’acte de ces chiens renégats, issus du félon lignage de Pilate, qui l’ont tué. Quant à lui, il s’est fait semblable à Dieu qui mourut pour nous sauver : n’a-t-il point, lui aussi, passé par le même pont pour délivrer les siens ?

« Mille chevaliers de grand lignage et mille dames de grande valeur seront par sa mort plongés dans le désespoir ; et aussi mille bourgeois et mille serviteurs, qui, s’il eût vécu, eussent été noblement dotés, et puissans, et honorés. Maintenant il est mort. Ah ! Dieu, quel grand dommage ! Voyez ce que nous sommes, où nous en sommes réduits ! Voyez ceux qui l’ont tué, qui ils sont, d’où ils viennent ! Maintenant nous avons perdu notre recours et notre garant[1]. »

Le sirventés qui, dans l’ordre chronologique, vient après celui-ci, a dû être écrit dans les premiers mois de 1213. Pierre II d’Aragon, qui, pendant deux ans, avait vingt fois offert une médiation toujours repoussée, commençait à prendre ombrage de la puissance croissante de Simon de Montfort, dont il avait d’abord accepté l’hommage, et à comprendre qu’il n’était point prudent de laisser s’installer à la place des comtes de Toulouse un lieutenant des rois de France ; il venait de se déclarer pour Raimon VI ou était sur le point de le faire, quand un poète, dont le nom ne s’est pas conservé, lui adressa ces vers, tout vibrans d’ardeur guerrière et de confiance dans le droit[2] :

  1. Cascus plor e planh son damnatge (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 46). Divers érudits ont cru devoir rapporter cette pièce, non à la mort de Rairaon-Itoger, mais à celle de son grand-père Raimon-Trencavel, assassiné en 1167, dans une sédition ; mais quelques-uns des vers que nous avons traduits ne nous paraissent pouvoir convenir qu’à la victime des croisés.
  2. Vai, Hugonet, ses bistensa (dans Rochegude, Parnasse Occitanien, p. 392).