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l’auteur proteste contre cette « perfide paix, à nous apportée par Simon, qui dépouille et ruine, fait de haut choir en bas et change les villes en déserts ; » il raille Montfort et le défie : « S’il veut venir recueillir lui-même ses tributs, je ne lui conseille pas de prendre gîte à Beaucaire ; » enfin il anime les Provençaux à une résistance dont on vient d’éprouver l’efficacité : « Que fais-tu, baron qui te caches comme un rat dans son trou ? Ne vois-tu pas le dommage qui t’en peut échoir ? Allons, sus, remue les mains et les bras,… car par effort on a vu sortir de peine maint homme, qui autrement eût été la proie de la défaite et de la mort… Allons, puisque désormais nous voici en pleine lumière, qu’il s’avance, celui qui vaut quelque chose : défendons plaines et marais, ne nous laissons point dominer par Nonchalance. Les Français nous reviennent tout désarmés ; mais nous savons maintenant ce qu’ils veulent. Grâce à Dieu, la chance a tourné, malgré ceux qui avaient consenti à l’accord. » Le poète nous donne lui-même une précieuse indication : après une longue période de silence, c’est pour obéir à un comte qu’il s’est remis à chanter. Quel serait ce comte, si ce n’est celui dont il exprimait si bien les sentimens, c’est-à-dire sans doute le héros même de Beaucaire, le jeune comte de Toulouse ?

Ainsi était brillamment inaugurée cette seconde période où les armes méridionales ne devaient guère compter que des succès : en septembre 1217, Toulouse, que n’avait pu mater la terrible exécution de l’année précédente, accueillait avec enthousiasme son seigneur ; pendant dix mois, elle résistait victorieusement à Simon, jusqu’au jour où, lancé par une pierrière que servaient des femmes, un caillou vint frapper « tout droit où il fallait, » et délivra Toulouse de son plus redoutable ennemi. L’année suivante, le fils même du roi de France échouait devant ses murs ; et, après six semaines d’efforts inutiles, était forcé de reprendre le chemin du Nord. L’incapable Amauri de Montfort perdait les anciennes conquêtes de son père ; l’Albigeois, le Biterrois même lui échappaient, et il était forcé d’offrir au roi de France le bien mal acquis que déjà il ne possédait plus. Il est singulier que, pour toute cette période, nous ne possédions aucune pièce qui puisse être rapportée à une circonstance précise, et rien mieux que cette pénurie ne nous montre les pertes qu’a dû faire la littérature méridionale : il est évident que la gloire de Toulouse, qui fut alors vraiment la ville héroïque, dut être chantée par les