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les Chinois d’aujourd’hui qu’ils ne sauraient même chez eux opposer une résistance armée bien sérieuse. Ils n’avaient, pour les soutenir dans ce rôle, que deux sentimens tenaces et énergiques : la haine ou le mépris du Barbare, et l’attachement traditionnel à certaines de leurs institutions et de leurs coutumes. Ce sont là certainement des élémens de résistance à l’étranger. Ils ne suffisent pas à eux seuls, et d’ailleurs ils sont en voie de décroissance. Quoi qu’il en soit, la question politique est, dirais-je, en Chine, subordonnée à la question économique. La puissance qui fera la conquête économique et financière de la Chine fera en même temps, et sans coup férir, sa conquête politique.

C’est pourquoi la tactique consistant à soutenir l’intégrité territoriale de l’empire chinois et à acquérir d’autre part la haute main sur ses chemins de fer, sur ses finances, et sur l’outillage économique qu’elle est maintenant forcée de créer à l’imitation de l’Europe, était un coup de maître de la part de la seule puissance qui fût en mesure de jouer ce jeu et de prétendre en recueillir un jour le fruit. L’a-t-elle joué assez nettement et assez radicalement dans ces derniers temps ? C’est discutable.

Quant à l’opinion de Prjévalsky, que nous avons été amené à mentionner tout à l’heure, elle est formulée à un point de vue qui nous semble n’avoir, en somme, aujourd’hui, qu’une importance secondaire. Peut-être 25 000 Cosaques pourraient-ils, comme il l’a dit, ou auraient-ils pu suffire à vaincre la Chine, mais non sans doute à la conquérir et certainement non à la conserver ni à l’assimiler. La conquête de la Chine par le monde européen, si elle doit avoir lieu, sera une conquête pacifique, une opération d’influence, en un mot un ‘acte d’association de la race blanche et de la race jaune, celle-ci étant trop en retard comme outillage pour pouvoir lutter avec sa rivale, mais trop nombreuse et trop vivace pour pouvoir être écrasée ou supprimée.

Quoi qu’il en soit, et quelque opinion que l’on puisse avoir aujourd’hui, maintenant que la porte de la Chine est ouverte et que le partage du Céleste Empire, — ou son entraînement dans l’orbite de la civilisation européenne, devenue dorénavant, parle consentement de la race jaune et par l’écrasement des autres races, la civilisation humaine, — n’est plus qu’une question de temps, la Chine était aux yeux de tous, à l’époque dont nous parlons, un pays fermé et redoutable.