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marquis de Castellane, que les jeunes femmes appelaient couramment leur « petit frère, » et qu’elles « embrassaient » à la fin de leurs lettres ? Quel motif avaient-elles pour s’occuper avec tant de passion de la mise en liberté d’un « ci-devant, » dépensant littéralement leurs jours et leurs nuits à faire à son sujet démarche sur démarche, à suivre les séances du Comité pour y guetter une occasion de hâter le jugement, à convaincre, à stimuler, voire à corrompre les membres de ce Comité ? Autant de questions auxquelles les lettres ne donnent point de réponse, et sur lesquelles personne, malheureusement, n’est plus désormais en état de nous rien apprendre. Tout au plus pouvons-nous hasarder quelques hypothèses sur ces diverses questions, et en particulier sur la dernière d’entre elles. Nous croyons, en effet, que c’est de la façon la plus désintéressée, par pure bonté d’âme, par une sorte de respectable et touchante folie de dévouement que les Courcelles se sont ainsi voués, de tout leur cœur, à la libération du prisonnier du Plessis.

On sait que, après le 9 thermidor, les prisons furent envahies par une foule d’avocats improvisés, hommes et femmes, qui s’offraient, moyennant paiement, à tenter des démarches en faveur des détenus. La comtesse de Bohm, dans ses intéressans souvenirs sur les Prisons en 1793[1], raconte que, dès le soir du 10 thermidor, un gardien du Plessis lui dit : « Employez-moi pour sortir promptement d’ici : je suis l’intime d’un membre du Comité de sûreté générale. » Elle ajoute que, les jours suivans, « cette engeance qui, à Paris, ne vit que d’intrigues » afflua au Plessis. « On offrait des services, on les marchandait, on cherchait des cliens, on trafiquait directement ou par intermédiaire : les geôliers employaient plus volontiers leur crédit en faveur des prisonniers : les gens d’affaires s’adressaient aux femmes. » Mme de Duras, dans son Journal de mes prisons, nous parle aussi d’hommes et de femmes qui, pénétrant auprès des détenus, « montraient le désir d’obtenir leur confiance pour se mêler de leurs affaires. » Mais les Courcelles, assurément, n’appartenaient pas à cette catégorie. Le ton seul de leurs lettres suffirait à prouver que ce n’est point par trafic qu’ils travaillaient pour leur « petit frère ; » on y sent l’ardeur la plus sincère, la sympathie la plus vive et la

  1. Les souvenirs de la comtesse de Bohm ont été recueillis par M. de Lescure dans la Bibliothèque des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, t. XXXIV (librairie Firmin-Didot).