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voulût bien lui faire une sommation sérieuse ; il était tout prêt à y céder ; il l’aurait sans doute fait beaucoup plus tôt si l’impatience du gouvernement avait été égale à la sienne. Quoi qu’il en soit, nous en avons fini avec le roman-feuilleton de la rue de Chabrol, et, aujourd’hui, tous les inculpés dans le grave complot sont à la disposition de la Haute Cour, sauf pourtant MM. Thiébaud, Marcel Habert et un ou deux autres dont on n’a pas de nouvelles. Nous savons aussi un peu mieux ce qu’on leur reproche. La Haute Cour s’est réunie ; elle a tenu une première séance ; elle a entendu le réquisitoire de M. le Procureur général. L’impression que cette lecture a produite sur elle ne s’est manifestée par aucun signe extérieur, et nous en dirons autant de celle qu’a éprouvée le public. Elle a été faible. Il est fort possible qu’il y ait eu un complot, et sans doute ce ne sont pas les accusés qui le contesteront, car ils ont tout l’air de s’être pris extrêmement au sérieux et leur correspondance témoigne de leurs illusions ; mais le pays s’obstine à croire qu’il n’a pas couru de danger, et c’est à cela qu’il mesure l’importance de la chose. Que les desseins des conjurés aient été très mauvais, nous le voulons bien, mais leur impuissance a été plus grande. Ils ont d’ailleurs joué au naturel, et avec une parfaite sincérité, le rôle de la mouche du coche, et ils n’ont jamais mis en doute que toutes les agitations, petites ou grandes, qui ont eu lieu à Paris depuis quelques mois, ont été de leur fait. La grève des terrassiers éclate ; ils distribuent un peu d’argent à quelques personnes, — on en trouve toujours pour le recevoir, — et les voilà convaincus qu’ils ont fait la grève des terrassiers. Quelques désordres, d’ailleurs sans gravité, se produisent sur une place publique ; aussitôt ils arrivent et se mêlent à la foule ; M. Jules Guérin distribue quelques horions à des agens de police ; et les conspirateurs s’essuient le front en se félicitant d’avoir fait tant de besogne. Ils écrivent à un prince exilé pour lui faire part de leurs espérances d’ailleurs déçues, — toujours déçues, — et ils exigent de lui qu’il se porte sur tel ou tel point de la frontière. Le prince est entre leurs mains comme un jouet, il suit toutes les indications qu’on lui donne, il ne voit pas plus juste que ses amis. Tout cela est à la fois triste et ridicule, et assurément le prestige du parti royaliste n’en sortira pas augmenté ; mais le danger encouru par la République est nul, et l’instinct populaire ne s’y est pas trompé. Dès lors, à quoi bon avoir fait appel à un tribunal aussi exceptionnel que la Haute Cour ? Une juridiction d’un ordre moins élevé, ou relevé, n’aurait-elle pas suffi ? Si on voulait surprendre ces hardis conspirateurs en flagrant délit de puérilité,