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affection, il a grand soin de ne s’entretenir qu’avec les autres de ce qui a trait à la marche des affaires de l’Etat. Seuls ils sont ses conseillers ; seuls ils sont en possession de sa confiance. Il ne veut pas qu’on puisse l’accuser de chercher en dehors d’eux ses inspirations et ses raisons d : agir, ni d’opposer à la légitime influence qu’ils doivent naturellement exercer celle d’un favori. Cette préoccupation apparaît dans la plupart de ses lettres. Ce qu’il veut avant tout éviter, c’est que le ministre d’hier crée des difficultés à ceux d’aujourd’hui.

Decazes eût donc été tenu complètement en dehors des affaires si, d’une part, les amis qu’il avait laissés à Paris ne lui en eussent parlé tous les jours et si, d’autre part, l’amitié de Pasquier ne s’était appliquée à l’entretenir de ce qui se faisait et se disait. De Pasquier, il apprît au commencement d’avril que ce n’était plus par les ultra-royalistes, à qui on avait fait concessions sur concessions, que le cabinet était menacé, mais par les doctrinaires et les ultra-libéraux qu’avait mis en défiance son orientation plus marquée vers la droite.

« Vous me négligez bien, mon cher ami, et j’ai peur que les douceurs de la vie de campagne ne vous fassent un peu trop oublier vos amis, qui ne sont pas comme vous étendus sur des lits de verdure et de fleurs. Nous voilà cependant hors de la loi de la presse, et ce n’est pas un médiocre avantage après la fureur des attaques que d’en être sorti avec une honnête majorité. Le côté gauche ne s’était pas encore montré avec cette violence ; elle lui a même fait quelquefois négliger la perfidie, et il n’a, dans son emportement, rien su cacher. Une telle franchise devrait bien servir d’avertissement à tous les hommes qui ne veulent pas servir d’instrument à un parti qui ne le cède en odieux à presque rien de ce que nous avons vu de plus repoussant depuis trente années. La discussion qui va s’ouvrir sur les comptes donnera, il faut l’espérer du moins, aux esprits le temps de se rasseoir. Mais il faudra bien arriver enfin à cette loi d’élection, et c’est là que se livrera le plus grand combat. De Serre, dont j’ai reçu une lettre, il y a deux jours, paraît toujours décidé à arriver pour ce combat. Mais, il y a une phrase qui termine sa lettre et qui me fait peine : Il faudra voir, dit-il, si ma position pourra supporter la tribune. Ceci prouve qu’il n’a pas une confiance entière. Nous avons cependant dans cette affaire le plus grand besoin de son appui, car les esprits sur ce point sont plus divisés que jamais, et