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certaine mesure. Il croyait, bien à tort d’ailleurs, son ancien collègue dévoré du désir de reprendre le pouvoir et la réalisation de ce désir souhaitée par le roi. Il s’effrayait de tout ce qui semblait donner raison à ses craintes. Il s’en effrayait d’autant plus que chacun de ces incidens avait pour effet d’exciter la fureur des ultras et lui valait à lui-même leurs récriminations et leurs reproches. Il en entretenait alors Louis XVIII, s’efforçant d’obtenir de lui qu’il ne tolérât pas que son favori eût l’air de se prêter aux manifestations de ses amis, dont sa disgrâce était le prétexte et son retour aux affaires le but. La visite que le comte de Sainte-Aulaire venait de faire à son gendre, s’il la lui eût faite seul, eût passé sans doute inaperçue. Mais en s’adjoignant dans la personne du comte d’Argoult un compagnon de voyage, il en avait changé le caractère. Ce n’était plus une visite de famille et d’amitié, mais une démarche politique dont Richelieu avait signalé au roi les inconvéniens, et le Roi à son tour, bien à contre-cœur, les signalait à Decazes. Il convenait d’insister sur ce trait pour faire comprendre en quelle situation délicate et difficile se trouvait Decazes après sa chute. Il est d’ailleurs remarquable qu’après avoir donné libre cours à ces remontrances, le roi s’efforçait d’en réparer l’effet.

Dans la même lettre, on lit :

« J’ai recommencé avant-hier mes lundis. Il y a eu le soir soixante et quinze dames dans la salle du trône, ce qui n’a pas laissé que de me fatiguer un peu. Mais au bout d’un quart d’heure que j’ai été assis, il n’y a plus paru. Cent-quatre-vingt-treize dans l’autre salle ; total : deux cent soixante-huit. Le compte est beau. Mais, cher duc, vous m’en croirez quand je vous dirai qu’il ne m’a pas satisfait. J’ai soupiré tout bas, mais du fond du cœur, de n’en pas compter soixante et seize d’abord et cent quatre-vingt-quatorze ensuite. La bonne Mme du Roure est venue. Je lui ai parlé de la petite, de mon fils, du bon ange, de mon petit Louis. Cela m’a fait du bien. Mais qu’il y a loin de cette illusion à la réalité ! »

Ainsi la tendresse du roi ne se refroidit pas. Mais si loin qu’elle l’entraîne, elle ne l’empêche pas de faire un départ rigoureux entre ce qu’elle lui commande et ce que lui commandent aussi ses devoirs de souverain. Sincère avec ses ministres comme avec son ami, il ne veut rien faire au profit de celui-ci qui puisse leur porter ombrage, et s’il continue à prodiguer à l’un son