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par le temps frappé ou posé. Les anciens attribuaient à ce rythme le pouvoir de « calmer d’avance l’esprit[1]. » Il le possède en effet et dans ce passage de Beethoven il l’exercerait pleinement, s’il n’y était contrarié, dominé même par une influence plus forte, celle des instrumens à cordes et à archet, tels que nous les jouons aujourd’hui. Ainsi deux éthos se partagent inégalement ce morceau : l’ethos instrumental moderne l’emporte sur l’ancien ethos rythmique, et dans notre émotion totale, la part de la passion est plus grande que celle du recueillement et de la solennité.

La hiérarchie antique des instrumens a donc subi de graves atteintes ; mais le principe fondamental : suprématie des instrumens à cordes, subsiste toujours. Notre harpe, qui trop souvent efféminé l’orchestre moderne et l’énervé, sait aussi quelquefois l’ennoblir et l’alléger. Il y a des harpes vulgaires et niaisement sentimentales ; il y en a d’héroïques, de sacrées et vraiment célestes. Celles-ci possèdent les vertus que les Grecs aimaient dans la cithare et dans la lyre : « une netteté pure et grave et je ne sais quel air de sérénité vraiment virile[2]. » Comme la lyre ou la cithare, ces harpes ne nous donnent pas « l’image brillante ou passionnée des plaisirs, des luttes, des souffrances, qui remplissent la vie, ni le reflet changeant des rêves où se plonge parfois notre joie ou notre mélancolie, mais des impressions sereines et simples, et comme l’écho de cet Olympe où règne une éternelle félicité[3]. » Quant à nos autres instrumens à cordes, autrement touchés que ne l’étaient ceux des anciens, le premier rang continue de leur appartenir. Ils demeurent la partie essentielle de l’orchestre et comme son âme elle-même. Leur absence fait dans une « bande » militaire un vide que rien ne saurait combler.

Au contraire, quatre instrumens à cordes se suffisent à eux-mêmes. Plus sévère que la symphonie, le quatuor peut n’être pas moins sublime, et ses chefs-d’œuvre sont parmi les plus purs chefs-d’œuvre de la musique pure. Ainsi quelque chose encore subsiste de l’ordre ancien, qui sans doute est éternel, et jusque sur le faîte de nos Opéras, c’est l’Apollon porte-lyre qui reste debout et triomphant.

  1. Aristide Quintilien.
  2. M. Alfred Croiset, op. cit.
  3. Ici., ibid.