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cela vaudra peut-être mieux que si nous étions occupés à d’autres débats qu’on commence à annoncer, et qui seraient plus funestes à la paix des esprits et des consciences.

Mais n’anticipons pas sur l’avenir : nous ne voulons parler pour le moment que des faits accomplis. Depuis trois semaines, nous avons assisté à toute l’évolution d’une grève qui a présenté un très grand intérêt, soit par les questions qui y ont été posées, soit par les solutions qu’elles ont reçues. Il s’agit de la grève du Creusot. Elle a éclaté le 20 septembre, et s’est terminée virtuellement le 9 octobre, à la suite de l’arbitrage de M. Waldeck-Rousseau. Nous avons lu tous les documens qui ont été publiés à son sujet, tant par le comité de la grève que par la direction du Creusot, et aussi tout ce qu’en ont dit les journaux socialistes, sans nous trouver mieux éclairés sur ses causes véritables. Il semble qu’il n’y en ait eu aucune de sérieuse. Les allégations énoncées par les ouvriers ont été reconnues inexactes, qu’elles portassent sur la violation des engagemens pris antérieurement par la direction, ou sur de prétendues atteintes à la liberté de conscience. Ce dernier grief, en particulier, a été très exploité dans les polémiques, et, s’il était fondé, il serait très grave ; mais il a été impossible aux ouvriers, à leurs représentans ou à leurs délégués, de lui donner même une apparence de réalité. Quant aux autres allégations, qui portent sur des modifications arbitraires aux prix convenus au mois de juin dernier, elles se sont en quelque sorte évaporées lorsqu’on a voulu les préciser, et nous n’exagérons pas en disant qu’il en est resté si peu de chose, à supposer même qu’il en soit resté quelque chose, que ce n’est pas la peine d’en parler. On ne fera croire à personne que les vrais motifs de la grève soient dans ces infiniment petits. Au surplus, les ouvriers, après avoir décidé la cessation du travail, ont-ils mis plusieurs jours avant d’énoncer leurs griefs, comme s’ils éprouvaient une insurmontable difficulté à y parvenir.

Et c’est peut-être la première fois qu’un pareil phénomène se produit. Jusqu’ici, les ouvriers présentaient d’abord leurs réclamations, et c’est seulement si elles n’étaient pas admises qu’ils suspendaient le travail : cette fois, ils ont commencé par suspendre le travail, sauf à s’ingénier pour trouver ensuite des réclamations à présenter. Jamais le caractère non professionnel d’une grève n’était apparu plus clairement ; et s’il n’était pas professionnel, que pouvait-il être, sinon politique ? Nous avons rappelé la grève de juin. Il y a quatre mois à peine, les ouvriers du Creusot y avaient eu recours pour obtenir de l’administration des salaires plus élevés : c’est de cette crise que le syn-