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soir tranquille font éprouver aux âmes en harmonie avec les merveilles de la création ? » Cette éloquence nouvelle, Mme de Staël, pénétrée de l’esprit républicain, l’apercevait clairement, avec la pleine conscience du grand rôle qu’elle pouvait jouer dans les destinées de la liberté. Par-delà les siècles passés, elle retrouvait l’esprit des républiques antiques, de la Grèce et de Rome, où l’éloquence inspirait les grandes pensées et les nobles actions, où la vie était concentrée sur la place publique, d’où elle s’élançait, débordante et tumultueuse, par la bouche de ses tribuns et de ses orateurs.

Mais l’éloquence ne règne plus seule en souveraine. Une grande révolution s’est accomplie depuis les temps anciens : l’imprimerie, le livre a fait son apparition dans le monde. Plus sûrement que l’éloquence, le livre donne à la pensée des ailes. « Je fais bien plus de cas des baïonnettes que des livres, disent certains hommes qui ont intérêt à ne pas croire à l’ascendant de la pensée. Et moi, je crois, dit Mme de Staël, que, depuis l’imprimerie, les écrits ont sur les baïonnettes l’influence qu’avaient jadis Démosthène, Cicéron sur la place publique d’Athènes et de Rome[1]. » Pour former l’esprit public, il faut donc proclamer la liberté de la presse, qui est le plus puissant moyen d’arrêter l’oppression et de propager les lumières.

Mais la liberté de la presse, ce n’est pas pour Mme de Staël, comme pour nous, la liberté des journaux ; c’est la liberté du livre. Elle distingue soigneusement l’une de l’autre, et, loin d’admettre que la liberté absolue des journaux soit le plus sûr garant de la vraie liberté, elle voit en elle l’agent du plus odieux despotisme. C’est comme « sauvegarde contre la tyrannie » qu’elle réclame pour le gouvernement le droit de surveiller les journaux, de les suspendre provisoirement, de mettre les scellés sur les presses, d’ « enlever leur arme à ceux qu’il croit perturbateurs de l’ordre publie. » Ces mesures d’assainissement sont du ressort de la police. Libre ensuite aux journaux de faire appel aux tribunaux du pays.

Assurément, cette attitude surprend un peu de la part de Mme de Staël. Elle s’explique pourtant par des raisons historiques et logiques.

En premier lieu, il est certain que les attaques dirigées, sous le

  1. Feuillet 198.