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Directoire, par les journaux royalistes et jacobins contre Mme de Staël lui causèrent de très vives souffrances. La presse royaliste l’accusait de favoriser les républicains, et les jacobins lui savaient mauvais gré de sa modération et de la pitié qu’elle témoignait aux victimes. Non seulement on incriminait sa vie publique, mais sa vie privée n’échappait pas à ses accusateurs. On lui reprochait sans cesse sa qualité d’étrangère : c’était le grief ordinaire. De quoi se mêlait cette Genevoise ? « Qu’elle retourne à son Léman ! » Ce mot de Napoléon se trouve déjà dans les journaux de 1798. On la traitait de femme furie. Le Journal des Hommes libres, interprète des plus purs sentimens jacobins, raillait agréablement les relations qui existaient entre Benjamin Constant et la « grosse baronne. » Constant, ce tigre sous un extérieur froid, prononçait-il un discours au Palais-Royal ? On y reconnaissait l’inspiration de la bien-aimée baronne, de la plus parfaitement bonne des femmes. Et les anecdotes graveleuses du dictionnaire de Bayle entraient en scène, l’histoire de Combabus et de Stratonice, par exemple. On sommait le Directoire d’expulser l’intrigante ; le Directoire obéissait docilement aux journaux, car il en avait peur et faisait ce qu’ils voulaient, en attendant qu’il les supprimât et déportât leurs rédacteurs, un beau jour, par caprice. Mme de Staël était invitée à partir pour Coppet, et le journal exultait, paraphrasait les vers de Catulle ! « Pleurez, grâces, pleurez, amours !… » L’intrigante, l’espionne, la femme furie avait purgé de sa présence le sol de la patrie. Mais les calomnies pour cela ne cessaient pas ; elles allaient leur train. S’imagine-t-on l’état d’esprit de Mme de Staël tremblant à chaque instant de se voir déshonorée ? Peut-être ces attaques furent-elles cause de la séparation qui intervint, cette année 1798, entre elle et le baron de Staël, qui venait d’être nommé de nouveau ambassadeur de Suède auprès de la République française. Pleine d’angoisse, elle écrivait :

« Quel repos, quel bonheur un tribunal quelconque peut-il rendre à une femme que les journaux ont attaquée ? Peut-être que sa famille est à jamais troublée, que son époux a perdu son estime pour elle, qu’un homme qui l’aimait s’est éloigné d’elle, parce qu’elle avait perdu ce charme touchant d’une vie obscure, tout entière consacrée à l’objet qui en reçut le don. Enfin, savent-ils, ces malheureux calomniateurs, jusques à quelle profondeur ils bouleversent l’existence ? Ils accusent d’une opinion cruelle une