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celle du livre : car, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, il est impossible de séparer nettement leurs deux fortunes. Nous sommes de l’avis de cet « homme d’esprit » que cite Mme de Staël et qui prétendait « qu’il ne fallait pas de lois sur la liberté de la presse, mais que les lois sur la calomnie, sur l’avilissement des autorités constituées, sur la provocation au pillage, à l’assassinat s’appliquaient à la presse, comme à la parole, comme à toutes les manières de communiquer une pensée coupable ou d’exciter à une mauvaise action. » Cet homme d’esprit avait raison ; ce qui était le plus nécessaire à la France de 1798 ce n’était pas une loi sur la presse, mais un gouvernement fort et décidé à appliquer les lois : cela ne veut pas dire un gouvernement tyrannique, les gouvernemens faibles étant souvent les plus tyranniques, parce qu’ils ne vivent qu’à la faveur des expédiens et de l’arbitraire. Enfin, ce qui était encore plus nécessaire, c’était une réforme des mœurs. Celle-là, les Parlemens ne peuvent la décréter. Elle est la résultante à la fois des actions publiques et privées ; elle est le travail lent et mystérieux des années, le produit de l’accord et de l’harmonie de toutes les forces de la nation entre elles. Les meilleures lois sont impuissantes sans les mœurs : Quid leges sine moribus ? Il fallait donc chercher, pour les guérir, les plaies secrètes que la France portait en elle.


III

Deux phénomènes, ou plutôt deux tendances frappent Mme de Staël, quand elle examine la situation morale de la France en 1798 : c’est, d’une part, l’esprit de violence, que représente surtout à ses yeux l’esprit militaire, et, d’autre part, l’esprit matérialiste.

Sans doute, on ne craignait guère à cette époque qu’un général victorieux confisquât à son profit les libertés publiques. Le Directoire même ne prenait ombrage de la popularité de Bonaparte, que parce qu’elle faisait ressortir davantage sa propre impopularité. Mais personne ne soupçonnait le républicanisme de celui qui avait sauvé la République une première fois au 13 vendémiaire, et une seconde fois au 18 fructidor, par l’entremise d’Augereau et de ses troupes. Les journaux jacobins célébraient à l’envi le héros de la campagne d’Italie, qui avait assuré à la République le bienfait d’une paix glorieuse, l’intègre, le vertueux