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chose comme la marche du roi René… Là, au contraire, que verra-t-on ? — Des chaires vides, des retables sans autels, des lampes sans flammes, des clochettes sans voix, des chapes sans vivans, des reliquaires sans morts : offrandes sans doute trop belles pour le Dieu qui les reçut et mieux appropriées à ce culte nouveau d’un « esthétisme » municipal, dont les gardiens à tricornes seront les prêtres ennuyés ! À cette transformation, qu’aura gagné le Palais des Papes ? C’était une caserne : ce sera une prison.

Ce sera quelque chose encore de pire. Ce sera le palliatif ou l’apologie des destructions et des « embellissemens » de nos villes modernes. Ce sera l’excuse invoquée par les démolisseurs à chacun de leurs attentats. Ce l’est déjà, et il suffit d’écouter les voix qui s’élèvent dans les régions officielles pour ne plus douter que l’Art sert aujourd’hui de prétexte contre l’Art et que les créations les plus factices sont triomphalement opposées aux beautés spontanées de nos vieilles cités. « Vous paraissez émus de certaines transformations qui risquent de modifier l’aspect de Paris, » disait, en 1897, le ministre des Beaux-Arts, à la réunion solennelle des Artistes français. « Vous voyez dans le progrès industriel l’éternel rival de l’Art ; pourquoi refuser de reconnaître en lui, ce qui est tout aussi vrai, son éternel allié ? Les gares de chemin de fer au cœur de notre capitale vous apparaissent comme la plus fâcheuse de ces transformations. Mais pensez-vous que celles qui s’accomplirent dans l’aspect de Paris à travers les âges n’ont pas soulevé chez nos pères les mêmes inquiétudes et peut-être les mêmes protestations ?… Nous avons encore dans l’oreille les récriminations qui s’élevèrent contre certain baron, dont le nom est inséparable de la révolution topographique de Paris et qui, à travers les dédales des ruelles et des anciennes cours des miracles, lançait ces grandes voies rectilignes, comme les sillons de quelque colossal projectile… L’art a-t-il tant souffert de ces bouleversemens ? N’a-t-il pas, dans chacun des quartiers nouveaux, planté son drapeau, installé ses musées, depuis le Carnavalet jusqu’au Galliera, dressé un peuple de statues sur les places et les boulevards spacieux qu’a laissés derrière lui le cataclysme haussmannien ?… » Ainsi, selon cette thèse, la plus extraordinaire qu’on ait tenté de soutenir sur l’esthétique des villes, ce n’est point l’hygiène, ou le confort, ou l’activité de Paris qui sont invoqués contre son pittoresque, c’est son pittoresque même… Ce n’est pas au nom