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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/141

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grande cité n’est pas l’endroit des plus hauts et des plus précieux édifices. » Marchons avec les multitudes dans les percées largement ouvertes de nos villes renouvelées, et détruisons, s’il le faut, pour la marche de ce peuple, les choses pittoresques et surannées qui donnaient sa figure à la cité. Soit. Dans la barbarie avouée, il y a de la grandeur. Mais n’invoquons pas, pour le faire, l’intérêt sacré de l’art. Avouons hardiment que c’est la richesse d’une ville qui nous tente, non sa beauté. En frappant ainsi l’art dans ce qu’il a de plus vital et de plus consolateur, ne prétendons point que nous le sauvons. Ne demandons pas à la nation, en son nom, des subsides qui ne servent qu’à rendre sa déchéance plus visible. N’ajoutons pas à des actes de Vandales des raisonnemens de Byzantins.

Et s’il se trouve, çà et là, par le monde, une ville qui n’ait pas mis tout son art en prison et qui en ait, dans ses rues, gardé quelques libres vestiges, puissent les hommes debout sur les seuils de ses maisons ou assis dans ses assemblées réfléchir longuement avant de prononcer l’irrémédiable arrêt ! Qu’ils pensent non pas seulement à ceux qui habitent cette ville aujourd’hui, mais aussi à ceux qui l’habitèrent et dont elle est bien un peu la possession, et à ceux qui l’habiteront et dont elle est bien un peu l’héritage ! « La cathédrale d’Avranches appartenait-elle à ceux qui la détruisirent plus qu’elle ne nous appartenait à nous qui nous promenons maintenant tristement sur ses fondations ? » Avant de détruire, pensons à ceux qui ont bâti. Avant d’anéantir, pensons à ceux qui sont morts. Mais surtout, avant de construire, pensons à ceux qui vont naître et ne nous hâtons pas de modeler le corps de ces villes durables selon la forme de nos âmes éphémères. Que savons-nous des âmes de nos successeurs, de leurs goûts, de leurs affinités, de leurs désirs ? Nous voulons activer la circulation humaine au cœur de nos villes… Qui peut dire qu’ils n’abandonneront pas le cœur de nos villes, comme nous abandonnons aujourd’hui le fond de nos campagnes ? Qui peut même affirmer qu’à Florence, comme à Paris, le reflux vers la banlieue n’ait pas déjà commencé et qu’un jour, les centres de nos cités à demi dépeuplées ne puissent redevenir, si nous sauvons leurs vieilles architectures, les asiles de l’esthétique, les oasis de l’idéal et de la paix ? Ne croyons pas que le type unique et nécessaire de la cité moderne soit l’échiquier ou la roue de carrosse ! S’il y a « plusieurs demeures diverses dans le palais du Père, » il y a