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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/634

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mais le chiffre de leurs affaires, malgré tout, ne monte guère, pour chacun, qu’à deux cent mille francs, et ce sont là encore des exceptions, des cas uniques, presque des énormités pour l’endroit !

J’ai voulu savoir au juste pour combien pouvait vendre de meubles, en une année, un de ces petits ébénistes, à la porte desquels pourrissent des bouquets auprès d’invocations à sainte Anne :

— Et d’abord, lui ai-je demandé, pourquoi, dans le pays, êtes-vous autant d’ébénistes ?

— À cause des noyers, m’a-t-il répondu. Il y en a beaucoup, et qui donnent de très bon bois.

— Et pour qui faites-vous tous ces lits et toutes ces armoires ? À qui les vendez-vous ? Où tout cela s’en va-t-il ?

— Comme vous le voyez, me dit-il encore, nous ne faisons que le meuble commun, et nous le vendons pour la campagne. Quelques-uns, cependant, travaillent aussi pour Limoges.

— Et combien occupez-vous d’ouvriers ?

— Ça dépend… Trois ou quatre… Cinq ou six…

— Et vous les payez ?

— Aux pièces. Le bon ouvrier gagne ses trois francs par jour.

— Mais c’est relativement plus qu’à Paris !

— Ah ! s’écrie alors l’ébéniste, c’est beaucoup plus. Je connais un peu Paris, j’y ai travaillé, et vous n’y vivez pas pour dix francs comme vous vivez ici pour trois.

— Et pour combien, en somme, vendez-vous de meubles par an ?

— Oh ! pas pour beaucoup… Pour trois mille francs,.. quatre mille francs,.. cinq mille francs.

J’interroge ensuite un sabotier, et le sabotier, lui aussi, me laisse tout de suite entrevoir des chiffres mélancoliques.

— Ah ! me dit-il, les sabots de Brantôme étaient une vieille renommée, mais c’est une renommée qui a bien passé. Autrefois, à la campagne, tout le monde portait des sabots, et on ne portait même guère que ça. Quand il y avait une fête, une noce, un extra, on achetait des sabots neufs. À présent, on met des souliers, on n’a plus de sabots que pour les champs, le sabot s’en va…

Et il m’expliquait les particularités du métier. Une paire de sabots vaut 1 fr. 50, et un sabotier, bon an mal an, en vend douze ou quinze cents paires. Cela représente, en chiffres ronds, deux mille francs d’affaires par an. Là-dessus, il faut acheter le bois, les clous, le cuir, payer un ouvrier, et le gain est d’environ