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de la vérité. Mais il faut souhaiter d’autre part que la traduction en soit continuellement diversifiée par « l’esprit de l’heure ; » et l’esprit de l’heure, nous le répétons, c’est le génie du moment, du milieu, c’est le génie de la race, et mieux encore, pour éviter la confusion, c’est le génie national.

Sous cette réserve unique, il sera permis de se féliciter que, dans notre fin de siècle, la « littérature » ait cessé d’être un « divertissement ; » et nous voulons nous flatter de l’espoir qu’elle ne le redeviendra pas. Sans doute, il y aura toujours des amuseurs vulgaires, des vaudevillistes, des fabricans, des producteurs à la grosse de romans-feuilletons ou de chansons de café-concert ; il y aura des « chroniqueurs. » Mais ils se déclasseront ; ils cesseront d’appartenir à la « littérature : » on ne mettra plus de Labiche dans les Académies, on ne fera plus aux Béranger de funérailles nationales. Leur valeur ne sera plus qu’une valeur de commerce : ils « divertiront » leurs contemporains de même que d’autres les abreuvent. Leur genre de talent ne sera pas estimé au-dessus de celui d’un bon cuisinier, et ils seront, s’ils le veulent, des « artistes » à leur manière ; ils ne seront pas des écrivains. Car, ni l’indépendance que l’homme de lettres a conquise en s’émancipant à jamais de la protection du grand seigneur ou du traitant ; ni les exigences d’un public avide d’instruction, ou pour mieux dire, d’informations sur toutes choses ; ni le pouvoir nouveau dont les circonstances ont investi la « littérature » en en faisant ce que nous appelions tout à l’heure une arme au lieu d’un art, ne permettront à l’écrivain de se dérober aux responsabilités qui résultent pour lui de tant de changemens ou de modifications sociales. Elles ne lui permettront pas davantage de s’isoler dans un orgueilleux dédain de l’opinion, et, s’il affecte la prétention de n’écrire que pour une élite, il en sera puni, je ne dis pas par l’indifférence de l’opinion, qui est une chose après tout secondaire, mais par la stérilisation, pour ainsi parler, de son propre effort, et l’infécondité de son œuvre. Il ne sera donc pas un amuseur, mais il ne sera pas non plus un dilettante. Il n’aura plus le droit, qu’il s’était arrogé, de cueillir la fleur de tout pour la seule volupté d’en respirer le parfum. On ne l’estimera qu’en raison de l’utilité de sa fonction sociale, et il protestera, s’il le veut, du haut de sa tour d’ivoire contre cette conception bassement utilitaire de la littérature, mais on ne l’écoutera pas, on ne l’entendra seulement point. Ou, si par hasard on l’écoute, on lui répondra que, de toutes les formes de