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Sans doute, elle exagère ; ceux que nous nommons les grands politiques, un Richelieu, un Bismarck, ne peuvent prétendre à la sainteté. Mais cependant, par exemple, les fondateurs de l’unité nationale n’ont-ils pas, à un degré éminent, la vertu qui fait les martyrs et les saints : l’entier dévouement, l’esprit d’abnégation et de sacrifice ? En ce sens, il est vrai de dire avec Mme de Staël que les vertus politiques « sont une application nouvelle du dévouement de soi-même, » et « qu’elles créent des devoirs nouveaux. » Ces vertus sont plus nécessaires encore dans un gouvernement républicain que dans un gouvernement monarchique, puisqu’il s’agit d’assurer, non les avantages ou la gloire d’un homme ou d’une classe privilégiée, mais le bonheur du peuple. Donc, Montesquieu a raison : la vertu est, quoi qu’on dise, le principe des républiques ; et la première de toutes les vertus aux yeux du peuple est la justice. La loi étant maîtresse absolue, les citoyens n’ont d’autre garantie que le respect de la loi. Une république qui persiste dans la voie de l’illégalité et de l’arbitraire, prononce elle-même son arrêt de mort.

Le respect des opinions, c’est-à-dire la tolérance, le respect de la vie humaine et de la souffrance, c’est-à-dire la pitié, le respect de la loi morale et de la loi écrite, c’est-à-dire la justice, tels sont les trois principes qui doivent fonder la République en France. Ils ne sont pas énoncés aussi nettement dans l’ouvrage de Mme de Staël, mais ce sont bien eux qui l’animent : ils en sont le souffle, ils en sont la vie.


II

Il faut que la nation tout entière soit pénétrée de ces principes. Une grande besogne reste à accomplir : rallier l’opinion, créer l’esprit public, asseoir les institutions républicaines sur des mœurs républicaines.

D’abord, l’opinion. Elle est incertaine, chancelante ; elle hésite entre la liberté et la tyrannie. Elle est vaguement inquiète et mécontente, point assez satisfaite pour accepter franchement la République, point assez violentée pour se révolter ouvertement contre elle. D’ailleurs, elle est fatiguée de l’instabilité, devenue sceptique et passive, ce qui est la pire des dispositions dans une république. Elle préfère le repos à la liberté ; et le gouvernement, qui n’a pas su se l’attacher, erre dans la nuit, effrayé de sentir autour de lui le vide et le silence.