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loi. Mais jamais gouvernement n’avait donné un exemple plus scandaleux de la violation des lois, que le gouvernement du Directoire Depuis Fructidor, il vivait d’expédiens, pratiquant la politique de bascule, qui est la politique des faibles et des indécis, s’appuyant, un jour, sur les modérés par crainte des jacobins, et le lendemain, sur les jacobins par terreur des royalistes. Il protège d’abord Mme de Staël, puis il la chasse, parce qu’elle le compromet aux yeux des violens. Il ferme tantôt les clubs royalistes et tantôt les clubs jacobins, supprime les journaux des deux partis, déporte les rédacteurs, imprimeurs et propriétaires. Il était encouragé dans cette voie par les Conseils, puisque, avec leur complicité, il cassait, le 22 floréal, au mépris de la Constitution, l’élection d’environ 60 députés régulièrement nommés par le peuple.

Bref, les mots de loi et de justice n’avaient plus en France de signification exacte, et il pressait, il « pressait extrêmement, » comme le dit Mm6 de Staël, que l’on changeât de conduite. A la même époque, Benjamin Constant s’alarmait avec raison d’un tel état de choses. L’arbitraire, « ce genre de mort de toutes les institutions, disait-il, se glisse sous différens noms dans toutes les formes du gouvernement ; il se prévaut de toutes les apparences du danger ; il s’autorise de toutes les frayeurs du peuple ; il profite surtout de l’indolence des gouvernans. Comme il leur offre un moyen plus facile de trancher la difficulté présente, ils n’aperçoivent pas dans ce moyen le désordre de l’avenir. Pour sortir de l’embarras d’un moment, ils immolent la garantie, la garantie, cette condition par laquelle seule les hommes ont accepté les entraves de l’état social[1]. » Nobles et éloquentes paroles, qui dénonçaient la maladie mortelle de la République, l’anarchie, qui mène droit au despotisme.

Il était donc indispensable de rétablir dans les esprits la notion de la justice ; il fallait que la République fût pénétrée elle-même de cet esprit de justice, si elle voulait vivre, car c’était au nom de la justice que s’était faite la Révolution. Mme de Staël n’admettait aucune exception ; en effet, dit-elle, « dès qu’on admet des exceptions légitimes aux lois de la morale naturelle, dans quel vague effrayant n’est-on pas lancé ! » Elle se refuse à reconnaître deux morales, l’une à l’usage des politiques, l’autre à l’usage des individus. Pour elle, les vertus politiques ne diffèrent point des autres vertus.

  1. Discours prononcé au Cercle constitutionnel du Palais-Royal le 9 ventôse an VI.