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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/108

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devant les quais de Bordeaux, mais bien en amont et jusqu’au confluent du Drot, où se trouve précisément aujourd’hui un petit village qu’on appelle toujours « Gironde. » Ce ne sont là, au demeurant, que des subtilités du vocabulaire géographique.

Ce qui est plus intéressant à constater, c’est la manière dont le fleuve se comporte et s’est comporté de tout temps le long de ses deux rives, sur près de 100 kilomètres, de Bordeaux à la mer. Nous avons parlé ailleurs de cette loi générale qui régit toutes les eaux courantes de la terre sous l’action de sa rotation, dont la vitesse, nulle aux pôles, est vertigineuse à l’équateur[1]. On peut l’énoncer de la manière suivante : « Tous les fleuves de l’hémisphère boréal tendent à ronger leur rive droite et à atterrir leur rive gauche ; tous ceux de l’hémisphère austral, au contraire, tendent à ronger leur rive gauche et à atterrir leur rive droite. » Ces corrosions et ces atterrissemens sont naturellement d’autant plus sensibles sur un même parallèle que la direction du fleuve se rapproche plus du méridien. En général, les effets de la loi sont très lents, quelquefois même inappréciables, masqués ou détruits par une foule de circonstances extérieures et locales. La force qui, dans l’hémisphère boréal, pousse une molécule d’eau du fleuve sur la rive droite est sans doute très faible et son action peut être à chaque instant détruite ou annulée par des travaux de défense ou de protection, ou même par le plus petit accident naturel. Toutefois, quelque minime qu’elle soit, cette force existe ; elle anime un nombre incalculable de molécules, et elle agit dans le même sens et d’une manière continue depuis l’origine des temps. Or une force, si petite qu’on puisse l’imaginer, mais qui actionne pendant des milliers d’années des milliards de molécules, ne peut manquer de produire à la longue des effets qui vérifient la loi.

Cette vérification est manifeste et éclatante pour la Gironde. La rive droite présente une succession de falaises abruptes entrecoupées de petites baies ou « conches » sablonneuses. Le courant du fleuve ronge sans cesse le pied de ces falaises ; les eaux de pluie les pénètrent par-dessus, s’infiltrent lentement à travers la terre végétale dans les fentes de ces massifs, et désagrègent peu à peu toute la masse rocheuse. De temps à autre de violens coups de mer achèvent brusquement cette lente œuvre de destruction, et l’on assiste ainsi depuis bien des siècles à une série

  1. Ch. Lenthéric. Le Rhône, Histoire d’un fleuve, 2e part. ch. VIII.