Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvellement construits[1]. L’installation est grandiose, et il y a peu de spectacles au monde comparables à celui de cet immense port en croissant, présentant un développement plus harmonieux, de plus larges quais et une plus grande variété de maisons élégantes, d’entrepôts et de magasins débordant d’activité, de promenades et de rues monumentales, d’hôtels décoratifs et de palais somptueux, rappelant le luxe et la splendeur de la fin de la royauté française. Tout y respire la force et la tradition. L’opulence de Bordeaux n’est pas une fortune de parvenu. La ville et le port ont conservé un grand air de solennité et comme un souvenir de ces jours fortunés où le roi faisait son entrée par le fleuve et où la « flotte des vins » venait y charger des récoltes entières qu’on payait à prix d’or.

En face de Bordeaux, le faubourg populeux de la Bastide a une tout autre physionomie. C’était un champ désert, il y a un siècle à peine ; c’est aujourd’hui presque une petite ville. Son port et sa gare maritime sont le point terminus de la ligne de Paris à Bordeaux, et le transbordement facile entre les bateaux du fleuve et les wagons du chemin de fer lui donne une assez grande activité.

La superficie totale de la ville actuelle de Bordeaux est dix fois celle du XIIIe siècle, plus de quarante fois celle de la ville romaine. Il est vrai que la densité de la population est assez faible dans les faubourgs, où les maisons n’ont en général qu’un étage, quelquefois même qu’un simple rez-de-chaussée, presque toujours un jardin. La population totale de Bordeaux n’est donc que de 250 000 âmes environ, quatre à cinq fois le chiffre de la population romaine : elle est depuis quelque temps à peu près stationnaire. Le port de Bordeaux lui-même paraît être à son apogée, et son mouvement ne s’est pas augmenté en proportion de celui de plusieurs ports de l’Europe. Bordeaux a traversé deux périodes de grande prospérité pendant lesquelles il a régné sans rival : la première, d’une durée de trois cents ans, pendant l’occupation anglaise ; la seconde au XVIIIe siècle, avant la perte de nos colonies, alors qu’il monopolisait en quelque sorte ce qu’on appelait le « commerce des îles » et était le point d’attache naturel de Sainte-Lucie, de la Guadeloupe, de la Martinique et surtout de Saint-Domingue. Ce fut assez longtemps le premier port de France ;

  1. Ports maritimes de la France, op. cit., de Volontat et Huguenin, Port de Bordeaux, 1887.