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Combien ces impressions d’enfance étaient curieuses à entendre, racontées au cours d’une promenade dans les champs morcelés de Seine-et-Marne, où tout paraissait petit à ce chercheur de terres nouvelles, surpris de la lenteur de nos procédés de travail, de la médiocrité de nos instrumens aratoires ! Devant les paysans de chez nous, il s’étonnait comme Gulliver à Lilliput. Le groupement des maisons massives, les habitudes de voisinage, le caquet des femmes réunies au lavoir, tout cela rappelait si peu le fermier américain, solitaire, taciturne et pressé !

— Les enfans aussi, disait-il, doivent être moins surmenés chez vous.

La vie d’un petit garçon dans les fermes de l’Ouest est dure, aucune loi protectrice ne modérant pour lui l’effort. Il faut que sur des espaces énormes les foins soient rentrés, les champs ensemencés, et les bras manquent. Sur le gamin pèse donc la besogne d’un homme, sans une heure d’amusement, sans un congé. L’école ne le prend que l’hiver : une de ces petites écoles jetées de loin en loin sur la prairie, bien pauvres d’apparence, tout en planches, avec un aspect misérable de vieille caisse d’emballage. Lui-même fut élevé ainsi, puis il entra au séminaire le plus proche, un de ces collèges provinciaux où ceux des fils, celles des filles de fermiers que tourmentent la soif d’apprendre et l’ambition de voir le monde s’en vont côte à côte, échanger contre les avantages incertains de la science le pécule gagné à la sueur de leur front.

Muni de ses diplômes, à vingt et un ans, le futur champion de l’Ouest partit pour des régions qui se piquent d’un autre genre de culture que celle du blé. Pendant que son père, avec un zèle infatigable de découvertes et d’expériences aventureuses, se transportait dans le Dakota central, il alla, lui, visiter New-York et la Nouvelle-Angleterre. Deux années de voyage ne paraissent pas l’avoir converti aux délices de la civilisation, car nous le voyons revenir dans le Dakota et prendre part au boom colossal de 83. On sait avec quel emportement se pratiquent en Amérique ces irruptions de colons, dans un État ou sur un territoire ouvert de la veille. Le boom réussit médiocrement au point de vue industriel et commercial, mais Garland en rapporta des trésors sous forme d’observations, de souvenirs, de matériaux de travail. Il ne faut pas croire que son génie se soit épanoui sans étude. Comme le disait à merveille un autre poète de l’Ouest, le regretté Eugène