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absorber par le vent, par le soleil, par l’herbe ondoyante, par cette nature dont il est l’un des produits typiques.


O jours glorieux, je ne veux pas vous perdre, je ne le veux pas. — Ici dans le réseau de ma chanson, je vous enveloppe, je vous enserre, — Ici, où ni le temps ni le changement ne saura vous enlever à moi. — Quand je serai vieux, comme un aigle enchaîné, — Je pourrai, immobile, rêver cependant — D’espaces sublimes, et de l’éclair des eaux, — Et du parfum des fleurs de la Prairie. — Ainsi je vivrai encore — Au-dessus des nuages et sur le cheval fougueux. — J’entendrai la voix qui rugit dans les ravins ; — Quand j’aurai tout à fait oublié — L’héritage des livres, — Je reverrai encore la splendeur et la majesté de ma terre natale.


Les rares figures qui passent dans ces paysages si caractéristiques semblent faire partie du sol, comme l’herbe et le feuillage mêmes, rudes figures de pionniers et de colons ; figure de fermière dont l’histoire peut se traduire ainsi : elle est née, elle a travaillé, peiné, et elle est morte peinant jusqu’à la mort ; gardiens de troupeaux, comme ce Herdsman dont nous trouvons la silhouette d’un dessin si ferme, plantée sur l’une des plus hautes vagues de la Prairie.


Silence, bourdonnement d’insectes, éclat blanc du soleil… — Le gardien comme une statue est assis — Sur son cheval pantelant, — Tandis que, bien au-dessous de lui, — Le troupeau se meut en silence comme flotte une ombre. — Le vent faible murmure un mot mystérieux.

Le mot est prononcé plus haut, toujours plus haut. — Un frémissement d’action sur les deux lignes parallèles court, — Un sourd mugissement vous vibre dans l’oreille, — Et pourtant rien ne bouge…

Mais le rugissement est devenu formidable ; un cri — A jailli d’une bouche invisible, bouche de feu. — Les yeux du gardien se posent sur une masse lointaine — D’où semble partir cette note de sauvage bienvenue.

Soudain elle approche ! Chose rampante et gonflée de tonnerre, — Serpent, mystérieux qui sue à se tant presser, — L’express, boulet de canon, d’un élan formidable — Tourne la butte et hurle à travers l’espace.

La puissance incarnée de ce siècle d’airain, — La cité mouvante s’élance vers l’Est, — Amenant face à face pour un moment unique — La solitude barbare et le progrès qui passe…


Plus d’une fois Garland s’est complu dans l’expression de ce « moment unique, » après lequel la vaste étendue redevient silencieuse, la chanson des grillons y faisant un grand bruit et le soleil dardant partout sa lumière sans limite comme la plaine. On the wing of steam est une de ces belles études dont le peintre de la vitesse et de la fumée, Turner, ou Walt Whitman, panthéiste et réaliste à la fois, pourraient seuls nous fournir l’équivalent.