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que les chevaux, avertie d’ailleurs surabondamment des détails mystérieux de la vie des bêtes qu’on cache d’ordinaire aux petites filles. Elle intimide le brave John Dutcher, son père, par ses questions.

Renseignemens curieux donnés en passant sur les écoles mixtes où se nouent entre enfans beaucoup d’amourettes qui aboutissent à des mariages prématurés. C’est le cas du moins pour les plus niais ; les autres se réservent d’aller chercher fortune dans les défrichemens, ou des diplômes à l’Université. Rose ne compte pas parmi les niaises ; elle a lu dans un journal que certaine poétesse du Wisconsin avait conquis gloire et fortune, et elle prétend s’ouvrir une carrière littéraire. Ces grands rêves sont issus d’une rencontre fortuite qui exerce sur toute sa vie la plus bizarre influence. Un cirque a traversé la ville voisine, elle a vu voltiger dans les airs une espèce de dieu grec fait au tour dans un maillot à paillettes ; pour la petite fille, déjà poète à son insu, l’apparition de l’acrobate a été en même temps celle du beau, celle de l’amour, comme pour Bradley Talcott le passage de miss Wilbur. Le sentiment est le même, mais il nous intéresse moins, parce qu’en persistant, il devient absurde. Se rendre digne de cet être merveilleux qui saute par-dessus deux éléphans, cinq chameaux et deux chevaux sera désormais chez Rose une idée fixe. Comment faire ? Songe-t-elle donc à l’égaler en prouesses équestres ou athlétiques ? Vous n’y êtes pas. En pensant à lui, elle s’élèvera, sans l’aide d’aucun trapèze, au-dessus de ses habitudes et de son milieu ; voilà ce que nous conte très sérieusement M. Garland.

Plus tard, nous retrouvons Rose à Madison, capitale du Wisconsin, dans le ménage sans enfans du docteur Thatcher, qui lui donne une affectueuse hospitalité ; elle se prépare à gagner les fameux grades, complément de toute bonne éducation américaine. Rose a une ligne de conduite bien arrêtée, depuis que, dans le car où elle voyageait seule, à seize ans, sans chaperon, une femme avocat lui a donné ce conseil : — Croyez-moi, ne vous mariez pas avant trente ans, ou plutôt ne vous mariez que quand vous éprouverez le besoin d’être mère. Jusque-là, choisissez votre profession, travaillez.

Mais il y a d’autres périls que le mariage : celui qui pour le moment menacerait plutôt Rose, ce serait l’excès d’enthousiasme pour un homme marié. Par bonheur, le docteur Thatcher déclare loyalement à sa femme qu’il ne se sent pas encore assez vieux