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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/178

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pour pouvoir adopter impunément une fille aussi belle ; et, sans bien comprendre pourquoi, la dangereuse Rose se voit reléguée dans une de ces pensions où logent les étudiantes.

A l’Université même, étudians et étudiantes sont mêlés ; Rose exerce des ravages dans plus d’un cœur, quoiqu’elle manque absolument de coquetterie. Ces désirs qui l’effleurent ne laissent pas de l’émouvoir, mais Hamlin Garland ne s’en effraie pas. Il veut pour l’homme et pour la femme une même morale, il croit que l’attrait qui pousse deux jeunes gens de sexe différent l’un vers l’autre est aussi naturel que les lois de la gravitation ; qu’il n’y a donc pas lieu de lui opposer des barrières : on est préservé du mal par les forces du dedans, et non par les précautions du dehors ; la femme, aussi bien que l’homme, peut se relever d’une faiblesse passagère, d’un éblouissement sans conséquence, et celui qui l’épousera un jour devra lui demander non ce qu’elle fut, mais ce qu’elle est. La bonne foi qu’apporte l’auteur dans l’exposé de cette doctrine écarte toute interprétation équivoque. Lorsqu’il nous dit que Rose reste pure à travers ses enchantemens multiples, nous l’admettons. Sans cela, l’histoire ne vaudrait pas la peine d’être contée. Mais quelle est la force du dedans qui la protège ? Ce n’est pas l’influence religieuse. Elle n’a jamais cru à rien. Bradley, du moins, allait volontiers à l’église. L’auteur a bien soin de nous dire que ce n’était point par souci de son âme ni de la vie future ; il associait avec le charme du repos, de la musique ou de l’amour l’humble église de sa petite ville, le seul endroit qui n’eût pas de destination utilitaire. N’importe, cette interprétation esthétique de la religion, si vague qu’elle soit, semble manquer à Rose, sans doute parce qu’à Chicago les manifestations de l’art, sous des formes diverses, suffisent à lui élever l’âme. L’atavisme de plusieurs générations de femmes vertueuses est en elle, mais surtout, — elle le déclare elle-même, — c’est son premier idéal qui la protège : l’acrobate du cirque, encore présent à son imagination. Puis ses amoureux ne tardent jamais beaucoup à éveiller en elle le sens critique ; celui-ci, d’une beauté physique troublante, se trouve être sans caractère et sans esprit ; celui-là, un jeune avocat de talent, la détourne de lui en se prononçant durement, un soir qu’il l’a conduite au théâtre, contre l’adultère de la femme ; ainsi de suite.

Chaque année, Rose va passer ses vacances auprès de son vieux père, qui lui témoigne toujours la même adoration taciturne, sans