est impossible à un être vivant de jurer qu’il ne se lassera pas des liens qui lui ont été le plus chers. Ce que je puis vous promettre, c’est d’être toujours avec vous d’une franchise absolue. D’autre part, je n’exige rien. Vous restez maîtresse de vous-même, vous êtes libre d’aller et de venir sans avoir à me rendre aucun compte, sans que je me permette une question. Vous aurez le droit de cesser votre association avec moi quand bon vous semblera. Je veux avoir en vous une amante et une camarade, non pas une sujette ou une servante. Je n’accepte pas d’avoir de droits sur vous. Comme moi vous êtes une âme humaine, vous garderez la même indépendance, vous vous livrerez aux occupations de votre choix. Je ne suis pas démonstratif, je n’ai jamais eu depuis mon enfance l’habitude ni l’occasion d’exprimer beaucoup de tendresse. Que mon amour se soit déclaré, c’est assez pour que vous y croyiez sans mesure, car ce mot d’amour est un joyau qui, lorsqu’on en connaît le prix, ne passe pas négligemment de main en main. » Cette singulière déclaration trouve Rose à la campagne chez son père. Elle sait qu’il ne dépendrait que d’elle d’épouser le fils unique d’un des plus riches industriels de Chicago qui lui assurerait une existence de luxe : grands voyages à travers le monde, hivers mondains à New-York. Mais que deviendraient ses rêves d’indépendance, d’effort continu ? Et d’ailleurs elle aime Mason, cet homme morose qui a dépassé la jeunesse, que la vie a souvent frustré, qui en conserve quelque amertume, mais chez qui sommeillent tant de forces cachées. Elle répond par télégramme : Venez.
Et il la rejoint dans la ferme isolée où son pauvre vieux père sait bien maintenant qu’il ne peut essayer de la retenir pour toujours. Car elle lui a dit en l’embrassant : — Je vais me marier. Il habite Chicago ; nous viendrons vous voir l’été.
Et Dutcher promet d’aller aussi lui rendre visite en ville, et il se cache pour pleurer, ne voulant pas gâter la joie de celle qu’il a élevée au-dessus de lui.
Cette abnégation paternelle, nous l’avons rencontrée plus d’une fois déjà dans le roman américain ; il semble que ce soit au vieux père rustique, volontairement attaché à la glèbe pour donner le superflu à ses enfans, qu’il appartienne de montrer les vertus féminines par excellence : dévouement et sacrifice. Il est timide, il est doux ; on voudrait que sa fille lui ressemblât. Mais, tandis qu’il reste à labourer, celle-ci va écrire de beaux vers dont son