servira d’heureux contrepoids aux tentations qui lui viennent des villes. La politique et la sociologie ne seront pas les plus fortes. Croyez qu’il leur préfère encore les libres espaces. Ses amours et sa religion sont là.
Le livre s’ouvre par une pièce qui rappelle l’emphase de Walt Whitman, mais aussi le cri de l’aigle prenant son essor :
Mon cerveau baignera dans la brise splendide. — J’appuierai ma joue au soleil du nord. — Je boirai l’haleine des arbres moussus, — Les nuages un à un viendront à ma rencontre………
Le chemin est long et froid, et désert, — Mais j’irai. — Il conduit là où les pins gémissent d’un gémissement éternel — Sous leur fardeau de neige ; — Pourtant j’irai. — Le vent a des voix qui m’appellent, — Il y a dans la plaine des mains qui me font signe…
Je m’en vais voir les neiges — Là-bas où les montagnes se dressent abruptes et pâles, — Où le rose du matin remplit les cieux — D’une couleur vibrante comme une mélodie, — Où les clartés des nuits polaires — Volent d’étoile en étoile avec des cris, — Se balançant, sonnant, — Là où l’heure de midi est sans soleil.
Et ailleurs, plus simplement :
Crains-tu le vent ? — Crains-tu la force du vent ? — Le fouet de la pluie ? — Fais-leur face et combats, — Redeviens sauvage. — Aie froid et faim avec le loup, — Remonte avec l’échassier le courant glacial, — Tu auras des cals aux mains, — La joue tannée, — Tu seras las, basané, en guenilles, — Mais tu marcheras comme un homme.
Il choisit la route la plus récemment ouverte, celle du lac Teslin. Son voyage, cependant, publié après celui de M. Auzias-Turenne, Au pays des Mines d’or[1], beaucoup plus complet et mieux documenté sous le rapport pratique, et en même temps que plusieurs autres qui ont rapidement succédé à celui-là, ne nous apprend rien de très nouveau sur la géographie et les produits du Klondyke ; mais des yeux de poète savent voir ce que les yeux humains ne perçoivent pas. Il y a telles descriptions qui nous transportent tout de bon, comme en personne, sur les lieux qu’il parcourt, celle, par exemple, des forêts silencieuses de la sinistre Skeena, ces forêts de bronze où, dans l’interminable solitude des sapins, le soleil glisse de loin en loin, faible et pâle, où aucun bruit ne se fait entendre, sauf un rugissement qui dans l’obscurité devient plus rauque, le rugissement de l’eau. De tous côtés, froids
- ↑ Voyage au Pays des mines d’or. Le Klondyke, par M. R. Auzias-Turenne, Calmann Lévy, 1 vol.