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et blancs, les pics de neige enserrent l’immense forêt. Si peu de choses vivent dans ces bois du nord, et ces choses rares se rassemblent là où tombe la lumière, au bord des eaux livides, d’un gris verdâtre. Quoi qu’on fasse, quelque détour que l’on prenne, on retrouve la redoutable Skeena.

Garland se reporte souvent à la Prairie découverte, avec ses lignes fuyantes et planes, unies comme le ciel ; il s’écrie : « Dans l’ombre des sapins, je meurs ! » Mais, quand même, il ressentie féroce délice, passionnément chanté, délice des solitudes où ne passent que la pluie et les neiges, où l’homme n’est qu’un enfant, délice de faire face aux rafales et de leur offrir sa poitrine, tandis que les pins gémissent et se tordent, que les nuages déchirés passent et se culbutent en déroute, délice de fendre à gué l’eau folle des torrens, de poser le pied au sommet de la montagne avec un hourra triomphant.

Ce genre d’enthousiasme pour l’âpre nature n’existe que très exceptionnellement chez les chercheurs d’or ; aussi Garland fait-il de ceux-ci, en général, un cas médiocre. Leur courage lui a paru mécanique en quelque sorte. « Ils marchaient comme attirés par un aimant dont le centre eût été Dawson city, ils filaient en dérive vers ce maëlstrom humain ; d’un pas irrésolu, ils allaient à leur ruine. Ce ne sont pas là des hommes forts, ou plutôt toute leur force se concentre sur un but malsain. Le visage tourné vers le nord et ses mirages dorés, ils avancent à travers les obstacles, comme autant de somnambules, le dos courbé sous d’écrasans fardeaux : — A Dawson ! — Ils ne savent que cela. »

Parmi eux, cependant, il y a de ces vaillans qui, eussent-ils prospecté en vain, en vain foré la glace et le roc, trouveraient que c’est un gain d’avoir vécu, « d’avoir jeté les dés, même s’il n’existe pas une once d’or pour intéresser la partie. » Voilà des compagnons selon le cœur de Garland, eux et les braves chevaux sur lesquels il a tant d’anecdotes amusantes ou pathétiques. Je ne connais guère que Loti et Ouida qui montrent à ce degré le respect des bêtes, la divination de leurs sentimens, je ne dis pas de leurs instincts. Les chevaux semblent le toucher beaucoup plus que les humains, dont ils sont après tout les victimes, n’étant stimulés au Klondyke par rien de ce qui aide leurs maîtres à souffrir, et ne pouvant compter que sur une destruction finale, plus ou moins cruelle, selon qu’arrivés au terme du voyage on les tue ou on les laisse mourir. Pour Garland, le héros de son aventure