dire les naturalistes tout court, puisque aussi bien Linné régnait partout. La première opposition vint donc de ce petit cercle de savans et de connaisseurs qui, dans chaque branche du savoir, juge les auteurs, apprécie l’importance des ouvrages et des découvertes, et leur assigne leur rang et leur place. Elle se traduisit surtout par une affectation de dédain pour le fond de l’ouvrage, dont on reconnaissait volontiers le mérite de la forme.
Le public aurait pu ne pas être informé de cette réserve hostile de la coterie des naturalistes, si Réaumur, qui en était le représentant le plus qualifié, ne s’était senti directement atteint à la fois par Buffon et, détail plus étonnant, par Daubenton lui-même. Dès les premières pages de son discours préliminaire, Buffon oppose « les grandes vues d’un génie ardent qui embrasse tout, d’un coup d’œil, aux petites attentions d’un instinct laborieux qui ne s’attache qu’à un seul point. » Réaumur avait exécuté sur les insectes des recherches minutieuses et d’ailleurs pleines de sagacité ; il avait su y intéresser, outre les naturalistes, le public des lecteurs ordinaires en montrant, à travers ses descriptions, la sagesse et l’espèce de prévoyance de détail dont l’ingénieuse nature avait fait preuve dans l’organisation de ces petits animaux. Or, Buffon, — et c’est là une de ses opinions les moins raisonnables, — faisait profession de mépriser les trop petits animaux et les trop petites recherches.
Quant à Daubenton, il n’avait pas tenu compte dans son projet de classement du Cabinet du Roi d’un autre arrangement que tous les savans de l’Europe connaissaient et admiraient à juste titre, c’est à savoir celui des Cabinets de M. de Réaumur ; et enfin, il recommandait, sans en faire honneur à son auteur, des moyens fort ingénieux que Réaumur avait imaginés pour la conservation des pièces anatomiques. L’accès de mauvaise humeur provoqué par ces petites piqûres, le chagrin de se voir supplanté dans la faveur du public par un rival magnifique, s’ajoutant aux raisons générales, décidèrent Réaumur à encourager la publication des Lettres à un Américain.
Quant aux observations de Malesherbes, elles partaient d’un sentiment plus désintéressé. Mêlé aux naturalistes et assez avancé dans les études de ce genre pour en bien apprécier l’esprit, il avait été chagriné par l’injustice des attaques auxquelles Buffon s’était livré contre Linné et les classifications linnéennes. Sa réfutation savante et judicieuse des opinions de Buffon était évi-