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struction n’est pas elle-même un coup de force ? Est-ce qu’elle n’est pas la violation formelle de la fiction parlementaire ? Elle ne vaut certainement pas mieux que l’article 14, ou plutôt elle vaut moins, puisque l’article 14 a au moins sur elle l’avantage d’être légal et constitutionnel, et enfin, qu’il est susceptible de produire quelque chose, tandis que l’obstruction ne produit rien ; elle ne peut qu’empêcher. Gardons-nous des exagérations : quelle que soit l’inquiétude que nous inspire la situation de l’Autriche, nous ne sommes pas de ceux qui, poussant le pessimisme à l’excès, annoncent sa fin prochaine. Elle a des ressources vitales plus grandes qu’on ne l’imagine. Mais enfin un royaume voisin a péri à la fin du dernier siècle parce qu’il avait, dans sa constitution même, un article qui empêchait cette constitution de fonctionner. Plût au ciel qu’un autre lui eût permis d’échapper à ce funeste veto qui, venant tantôt d’un côté et tantôt de l’autre, condamnait finalement l’État à la paralysie et prédisposait le royaume lui-même à la décomposition et au partage !

Le comte Clary a donc donné sa démission ; il a été remplacé par M. de Wittek. Il présidait un ministère de chefs de services ; M. de Wittek en préside un de sous-chefs. Depuis le comte Thun, les hommes politiques se dérobent à la besogne à faire ; ils aiment mieux la confier à des sous-ordres naturellement irresponsables. Après avoir promulgué par décrets les crédits que le Parlement est dans l’impuissance de voter, le ministère Wittek disparaîtra à son tour. Mais qui voudra sa succession ? Le ministre hongrois, M. de Szell, refuse, paraît-il, de faire voter par son parlement les crédits du compromis pour plus de six mois. La situation est grave assurément. L’article 14, quoi que nous en ayons dit, n’est qu’un expédient d’un jour : on peut en user une fois, deux fois, mais non pas à titre permanent. Encore permet-on à François-Joseph ce qu’on ne permettrait peut-être pas à un autre. Mais ce n’est pas le gouvernement parlementaire qui est responsable de cet état de choses : tout ce qu’on peut dire de ce gouvernement est qu’il ne convient pas à l’Autriche, qu’il n’y est pas pratiqué, qu’il y a échoué. C’est pour cela qu’elle est tombée dans la situation où nous la voyons se débattre, sans qu’on puisse discerner le moyen qui l’en tirera.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.