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rien fait du tout ; il a été absolument inefficace, et pourquoi ? Parce que, arrivant au pouvoir après le comte Thun, il avait cru se concilier le parlement par la promesse solennelle de ne jamais employer l’article 14. C’était se condamner à la plus radicale impuissance. C’était aussi montrer une ignorance profonde des assemblées : elles ne respectent pas ceux qui se désarment ; et le grand art, avec elles, est de laisser sentir qu’on se réserve d’user de tous ses droits, en évitant d’ailleurs autant que possible de les pousser jusqu’aux dernières extrémités. Le comte Clary n’a pas été moins audacieux qu’il s’était montré faible : il a renoncé à l’article 14 et, en même temps, il a retiré les fameuses ordonnances linguistiques du comte Badeni. En un mot, il a commencé par couper son grand mât, puis il a déchaîné la tempête. On sait que ces ordonnances, qui avaient fortement mécontenté les Allemands, avaient été une satisfaction pour les Tchèques, satisfaction insuffisante, disaient-ils, mais qu’ils appréciaient tout de même. Ici, il faut reconnaître que la situation du gouvernement cisleithan est bien difficile. Les Allemands ont fait de l’obstruction aussitôt que les ordonnances ont été rendues, et ils n’ont cessé d’en faire que le jour où elles ont été retirées ; mais à partir de ce même moment, les Tchèques, un peu plus mollement au début, puis très résolument sous l’influence de l’opinion déchaînée dans toute la Bohême, les Tchèques en ont fait à leur tour. Le gouvernement est donc placé entre Charybde et Scylla : il n’a qu’à choisir entre l’obstruction des uns ou l’obstruction des autres, et il passe machinalement de celle-ci à celle-là, peut-être par simple amour du changement, ou plutôt par un secret espoir de trouver plus de ménagemens chez ses amis du jour, à l’instant même où il se résout à les mécontenter. Par malheur, les amis du jour deviennent aussitôt les ennemis du lendemain, et la situation, quoique retournée, reste la même : il y a empêchement absolu à gouverner. Aussi le comte Thun, après des négociations avec son collègue hongrois, négociations qui n’avaient abouti que grâce à l’intervention et à la volonté formelle de l’Empereur, avait-il promulgué le Compromis par décret. C’était fort bien, mais il fallait obtenir ensuite des deux parlemens autrichien et hongrois qu’ils votassent les crédits pour le mettre en vigueur. A Pest, on pouvait espérer y parvenir ; à Vienne, l’obstruction des Tchèques a rendu le fait matériellement impossible. Que faire ?

Nous, qui sommes des parlementaires, nous reconnaissons ce que le recours à l’article 14 a de regrettable : c’est l’ultima ratio, et il s’en dégage comme une odeur de coup de force. Mais est-ce que l’ob-