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En Angleterre, ce fut un entraînement irrésistible. On sait que l’heureuse constitution britannique a jusqu’ici toujours assuré la prédominance alternativement à un des deux partis qui représentent, dans un pays libre, l’un l’esprit de progrès, l’autre la résistance aux innovations et l’attachement aux traditions du passé. En 1830, c’était le tour de la veine libérale. Par la brèche que Canning avait ouverte dans les rangs du vieux parti conservateur, un Ilot démocratique avait pénétré et montait d’heure en heure avec une puissance qui emportait tous les obstacles. Une loi de réforme électorale, qui devait élargir les bases de la représentation nationale, frappait déjà à la porte du parlement, qui hésitait encore, mais ne pouvait tarder à s’ouvrir, d’autant plus que le roi Guillaume IV, appelé depuis quelques mois seulement à la couronne, ne pouvait guère s’y refuser, s’y étant montré favorable du temps qu’en sa qualité d’héritier présomptif, il courtisait l’opposition. Aussi, pendant tout le cours de la lutte engagée en France, l’hiver précédent, l’opinion anglaise avait pris chaudement parti pour le parlement contre la royauté. Puis c’était la révolution anglaise de 1688 qui servait de modèle à l’établissement de la nouvelle monarchie et l’amour-propre national était flatté de cette imitation.

L’envoyé de Louis-Philippe, le général Baudrand, fut donc reçu à bras ouverts. Peu s’en fallut même qu’il ne fût porté en triomphe. On sait qu’en Angleterre, quand la popularité s’attache à un homme ou à une cause, elle ne connaît pas de mesure. Une foule d’ordinaire réservée et silencieuse devient bruyante et exaltée à tout rompre. Aussi, sur le passage du général, c’était, dans le moindre village, des hurrahs frénétiques auxquels se mêlaient les refrains, fortement défigurés par l’accent britannique, du nouvel hymne français, la Parisienne. Il est vrai qu’il dut être reçu à Londres par Aberdeen comme ministre des Affaires étrangères, et Wellington premier ministre, deux noms de 1815 qui ne rappelaient aucun souvenir ni révolutionnaire, ni démocratique. Mais c’est le mérite des conservateurs anglais de suivre avec vigilance les mouvemens de l’opinion en s’efforçant de ne pas se laisser devancer par elle. Et le sentiment public était tel que toute pensée d’intervenir, même par la voie d’une abstention dédaigneuse et malveillante, dans le cours des événemens de France, eût causé un soulèvement général. La reconnaissance fut donc promise sans difficulté, et, par suite, un accueil froid dut