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convives étaient deux grands personnages russes, le maréchal Diebitsch et le comte de Nesselrode. « Mais, dit-il, on mit quelque soin à me faire remarquer que le hasard seul avait produit la réunion des individus avec lesquels je viens de dîner. »

Tout cela n’était pas aussi vrai qu’on le lui disait et qu’il le crut ou voulut le croire. Le retard avait bien tenu à de mauvaises nouvelles qui venaient d’arriver sur l’état agité de la Belgique. Puis les deux Russes de si haut parage, auxquels on l’avait présenté, étaient bien venus pour causer d’affaires un peu plus qu’on ne le lui faisait savoir. Mais il n’en partit pas moins, le 9 septembre, porteur d’une réponse à la lettre royale, dont Louis-Philippe ne cacha pas sa satisfaction. De plus, il fut suivi de près à Paris par le célèbre Alexandre de Humboldt, en relations très familières, comme j’ai pu plus tard en être témoin moi-même, avec les personnes les plus considérables du nouveau gouvernement, et on crut assez généralement que cette visite, sans avoir un caractère de mission officielle, n’était pourtant pas affaire de pure curiosité[1].

Restait à savoir comment serait jugée, dans les autres cours et principalement à Vienne, cette précipitation si peu accoutumée à prendre une initiative isolée ; et c’est sur quoi le chancelier de Russie, le comte de Nesselrode, le convive présenté au comte de Lobau, avait dû apporter des renseignemens positifs. Car ce n’était pas de Pétersbourg que Nesselrode arrivait, mais de Carlsbad, où, faisant une station balnéaire, il avait vu M. de Metternich accourir tout exprès de Vienne aux premiers grondemens de la bombe de Paris et avant même qu’elle eût complètement éclaté. C’était la première fois que les ministres des deux empires se retrouvaient dans un tête-à-tête de politique intime depuis les graves dissentimens qui avaient séparé leurs cours. Leur entretien, que M. de Metternich lui-même a raconté, fut naturellement très ému : mais il fut tout de suite évident qu’en homme d’expérience, qui savait qu’il n’est point de meilleure heure pour tendre un filet que celle où l’eau se trouble, le ministre autrichien entendait profiter du désordre imprévu de la scène politique pour reconquérir d’un seul coup l’ascendant qui lui avait échappé. Il n’y eut donc ni récrimination ni amertume dans son langage, mais des

  1. Correspondance du comte de Lobau avec le comte Molé, 27 août, 9 septembre 1830. Mazure, p. 87. — Reconnaissance de la monarchie de Juillet. — Annales de l’École des sciences politiques, 1870.