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reproches tendres et amicaux sur le tort causé à l’intérêt commun de l’ordre monarchique par la séparation des deux États qui devaient s’en regarder comme les plus solides fondemens, et l’erreur d’avoir fait le moindre fond sur une amitié aussi précaire que celle de la France. Et, comme son interlocuteur, pris au dépourvu, ainsi que tout le monde, par l’événement, et ignorant absolument quelle impression son maître en recevrait, ne savait trop que lui répondre, celui qui savait où il voulait en venir eut aisément l’avantage dans la conversation : « Je le trouvai, écrivit-il avec un ton de suffisance doctorale qui lui était habituel, dans un état de surprise difficile à dépeindre : incapable en réalité de se former un tableau exact de cette épouvantable catastrophe, tiré par l’événement même d’un sommeil de méfiance et d’une quiétude fortement empreinte de nuance libérale ; il ne m’a pas paru difficile de lui faire adopter sans beaucoup d’effort plusieurs de mes jugemens. Le plein se déverse facilement dans le vide[1]. »

Cette effusion communicative ne fut pourtant pas aussi complète qu’il l’avait espéré, et ce ne fut pas sans quelque peine qu’il arriva à se mettre d’accord avec son collègue. Non que, sur la ligne de conduite à suivre immédiatement, il put y avoir pour des gens sensés deux avis différens : la nécessité parlait trop haut. Personne, Metternich moins que tout autre, ne pouvait songer, dans l’état de relâchement où étaient les liens de la politique européenne, à répondre à l’insurrection de Paris par un de ces actes soudains et unanimes d’agression belliqueuse, qui avaient accueilli en 1815 la réapparition inattendue de Napoléon échappé de l’île d’Elbe. Attendre, voir venir, laisser le temps au gouvernement nouveau de la France de tenir ou de violer ses promesses pacifiques, il n’y avait pour l’heure présente et entre le soir et le lendemain rien d’autre de possible à faire, ni même à imaginer. Mais Metternich aurait voulu que cette expectative méfiante et menaçante résultat d’un concert établi entre les trois puissances du Nord à la suite d’une réunion dont Berlin aurait pu être le théâtre. De là serait partie une déclaration collective, faisant savoir officiellement au gouvernement français à quelles conditions on lui marchandait quelques jours d’existence.

C’est à quoi le chancelier russe ne voulut pas se prêter ; il déclara même (s’avançant, en cela, comme on le verra, plus qu’il

  1. Mémoires de Metternich, t. V, p. 65.