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agriculteurs qui, dans l’Afrique du Sud, en ce moment même, gagnent des batailles rangées ?

Vainement on cherche la démarcation. La vérité, c’est que la vie du dehors, la mise aux prises constante avec la misère, les obstacles, les périls, la lutte quotidienne contre les hommes et les élémens plongent dans la même trempe tous les tempéramens. De ceux qui ont été soumis à cette rude école, les uns restent au premier tournant, mais des autres résulte un être spécial qui n’est plus ni le militaire, ni le civil, mais qui est tout simplement le colonial.

Et c’est à ce titre qu’il nous sera permis, sans être suspect d’y apporter le moindre « esprit de bouton, » d’exposer à grands traits la façon dont le général Galliéni a entendu et appliqué, après d’illustres prédécesseurs, dont il a développé les principes et les méthodes, l’utilisation coloniale de l’armée.


I

Voyons d’abord dans ses grandes lignes l’emploi de la force armée pour la conquête, tel que l’entend, avec le général Galliéni et quelques-uns de nos chefs coloniaux, l’école qui procède d’eux, — car c’est une école.

Ce mode d’emploi exclut autant que possible[1] la colonne

  1. Nous disons « autant que possible » : car il doit être formellement entendu qu’il n’y a ici rien d’absolu. — Il est évident qu’il y a nombre de cas dans les guerres coloniales où l’expédition militaire s’impose, sous sa forme classique et traditionnelle : au début d’une conquête, quand il faut atteindre avant tout un objectif précis, ruiner d’un coup la puissance matérielle et morale de l’adversaire — aux Pyramides, à Alger, à Denghil-Tepé, à Abomey : — dans la période suivante, lorsqu’il faut atteindre et frapper certains chefs irréductibles, tels Abd-el-Kuder, Schamyl, Samory. — C’est à la progression normale de l’occupation dans les hinterlands coloniaux, après le premier coup de force presque toujours nécessaire, que s’applique la méthode qui fait l’objet de cette étude. — Et quand l’expédition militaire proprement dite s’impose, c’est avec toutes les ressources de la tactique et de la science modernes, après la plus minutieuse préparation, avec la dernière vigueur, qu’elle doit être menée. — C’est la meilleure manière d’économiser le temps, les hommes, l’argent. Il est essentiel qu’il n’y ait sur ce point aucun malentendu. Du reste, puisque c’est de la méthode appliquée spécialement par le général Galliéni pour l’occupation progressive des pays confiés à son commandement qu’il s’agit ici, ce serait méconnaître singulièrement une part essentielle de son œuvre que d’oublier que, chaque fois qu’il l’a fallu, au Soudan, au Tonkin, en face de l’insurrection de Madagascar, il a débuté par de vraies opérations, par des colonnes proprement dites qui ont été d’autant plus courtes et efficaces qu’elles ont été plus scientifiquement combinées, plus puissamment organisées, plus militairement menées. Et, le cas échéant, c’est à cette ultima ratio qu’il faut recourir sans hésiter. Nous y reviendrons.