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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/345

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fantastiques et de ses nouveautés piquantes, qui nous semblaient plus précieuses que des vérités, cet Extrême-Orient, las de son antique sagesse, soupirait après nos livres, nos systèmes, nos merveilles ; nous étions sa poésie, et nos grands boulevards lui promettaient le même enchantement qu’à nous ses palais chimériques.

Et l’on vit des fils de marchands, des petits campagnards, qui ne comptaient pas même de samuraïs parmi leurs ancêtres, s’enfler d’un désir aventureux et, possédés d’une ambition qu’ils ne savaient trop comment soutenir, se jeter sur les chemins d’Europe. Mais le Japonais reste pratique jusqu’en ses fantaisies les plus débridées. La science occidentale ne l’hypnotisait pas au point qu’il oubliât ses petits intérêts, et les spéculations métaphysiques l’en séduisaient moins que les avantages utilitaires. Quiconque s’approchait de la nouvelle Idole participait de sa toute-puissance, et, pour un léger sacrifice commis envers les anciens dieux du pays, se mettait en état d’obtenir des places et d’arriver aux honneurs.

Sans argent, sans crédit, Mikata débarqua un beau jour sur le quai de Marseille et vint échouer à Lyon où le gouvernement japonais envoyait assez volontiers ses pupilles d’avenir. Ceux-ci recueillirent leur compatriote. On le fit entrer chez les Maristes qui l’éduquèrent trois ans. Durant trois autres années il suivit les cours de la Faculté de Droit, et, quand il reprit le paquebot des mers orientales, le brave garçon remportait dans sa valise un certificat, une espèce de diplôme, un talisman !

Le séjour à l’étranger produit chez les Japonais de curieux effets : il les rend d’ordinaire plus Japonais qu’au sortir de leur pays. Les froissemens qu’ils éprouvent à notre contact réveillent en eux l’amour de leurs traditions et stimulent leur orgueil national. Ils n’en laissent rien percer, mais, si leur souplesse naturelle les plie un instant à nos mœurs et les façonne à nos manières, à peine ont-ils remis le pied sur leur terre d’origine qu’ils se dépouillent prestement du travesti dont ils s’étaient affublés pour nous plaire. Retirés dans leur milieu, ils y exploiteront la supériorité que leur donne un voyage aux pays du Savoir, et en écarteront jalousement l’Européen dont ils admirent l’habileté autant qu’ils la redoutent.

Puis chez ces hommes, que nous traitions d’inférieurs avec notre habituelle désinvolture, l’idée de science s’associait à celle de vertu. Quand, revenus violemment de leurs antiques