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son ingénieuse politesse, il n’en revient pas moins convaincu que, pour atteindre à l’état de citoyen moderne, il lui suffit de prendre le contre-pied de tout ce que ses ancêtres ont fait, de toutes leurs croyances, de tous leurs sentimens, de tous leurs rêves. La méthode est précise et lui semble infaillible.

Je ne prétends pas que M. Kumé la suive avec rigueur ; et, sous son vernis américain, je devine encore l’âme japonaise, mais une âme allégée, simplifiée, plus expéditive que celle de mon pauvre Mikata, où se débattent des idées crépusculaires. Il me déclara que la constitution politique de son pays ne le satisfaisait point, baraquement dressé à la hâte dans les ruines d’un château féodal. Il eût voulu qu’on démolît l’ancien régime jusqu’en ses fondemens, qu’on rasât les anciens vestiges des institutions surannées et qu’on rebâtit l’édifice en pierre et en fer. Ce radicalisme sentait son rudiment américain. Le Japon encore embroussaillé de préjugés et de vieux respects, tout rocailleux de ses coutumes locales, quel beau terrain pour le sarclage et le défrichement ! Devant cette œuvre pratique et fructueuse, bien fou qui s’empêtrerait d’étiquettes politiques ! M. Kumé est libéral, quand le libéralisme lui donne ses coudées franches ; progressiste, quand les progressistes font litière de tout ce qui les gêne dans le passé ; nationaliste, quand le nationalisme assure aux citoyens japonais la sécurité des monopoles. Il pencherait volontiers vers la république qui lui semble, parmi toutes les formes de gouvernement, la plus favorable aux gens d’affaires ; mais une monarchie constitutionnelle, comme l’anglaise, réaliserait ses vœux.

Je lui demandai s’il développerait ces idées devant les électeurs. Il laissa courir ses yeux sur nos taciturnes compagnons et me répondit en souriant : « Non, pas encore. Ils ne me comprendraient pas. » Et, la vue de sa garde d’honneur le rappelant à ses devoirs de courtoisie, il ouvrit son sac de voyage et y prit une liasse de journaux japonais qu’il distribua gravement à son entourage. Les membres du Comité esquissèrent de la tête et du buste un plongeon silencieux, et, après les avoir reçus et soulevés à la hauteur de leur front, en signe de remerciement, ils les déplièrent sans hâte et en commencèrent la lecture. Seul, le petit vieux continua de bourrer sa pipette et de clignoter aux poteaux télégraphiques.

Mon attention se détourna vers le secrétaire de M. Kumé qui s’entretenait avec Mikata.