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réceptions recommencèrent ainsi qu’au pavillon de la kermesse, mais les visiteurs buvaient une petite tasse de thé et allumaient un cigare. J’aperçus alors, agenouillé près du seuil, un jeune homme élégant et svelte, dont la jolie main négligente jouait avec un éventail, un de ces éventails de papier grenu, tout blanc, et bordé d’un filet d’or, les plus simples, ceux des grandes cérémonies. Il avait le front fuyant, les traits fins, l’œil tour à tour dédaigneux et caressant, et les lèvres d’une inquiétante mobilité. On me déclina son nom et son titre : Nojô, chef des soshis. Descendant de samuraïs, ancien étudiant redouté pour son humeur chatouilleuse et la promptitude de son poignard, ce bravo de la politique à la solde du candidat décelait encore en ses moindres gestes la grâce héroïque et simple de ses aïeux. Sa figure me remémorait les profils fièrement campés des hommes d’armes dont les dessinateurs japonais illustrent les contes à la Dumas de leur vieux Bakin. Tout à coup il se leva et disparut. Nous entendîmes dans l’escalier une rumeur de voix âpres suivie d’une sourde dégringolade, et tout retomba au silence. Nojô rentra aussi calme qu’il était sorti. Personne n’avait eu l’air de remarquer son absence, ni ces bruits insolites, mais j’appris plus tard qu’on avait repoussé les soshis de l’adversaire, car cet adversaire dilettante entretenait des soshis uniquement pour forcer M. Kumé à la même dépense.

Celui-ci, cependant, à mesure que les visites se succédaient, trahissait je ne sais quelle lassitude mêlée de désappointement. Mikata m’en donna la raison. M. Kumé, dont l’illusion s’expliquait par ses longues absences hors du pays, s’était imaginé que les électeurs l’interrogeraient sur son programme et ses principes. Il avait passé plusieurs jours à prévoir leurs questions et à préparer ses réponses. Et voici que les électeurs ne lui demandaient rien, fumaient paisiblement ses cigares et ne manifestaient aucun désir de connaître sa pensée. Au bout d’une heure, le moment venu pour lui d’aller rendre les visites reçues, il se leva. Ses deux valets s’avancèrent : l’un portait son pardessus, l’autre le lui endossa ; ils lui prirent chacun une main et le gantèrent ; enfin, le premier lui ajusta son chapeau et le second fixa dans sa cravate une grosse perle montée sur or. Et ce Japonais qui se piquait d’esprit révolutionnaire, ce radical ennemi des princes et des vieilles religions du passé, redevenait à son insu, dans ce milieu imprégné de l’ancienne civilisation, devant ses cliens et ses hommes